Je sais pertinemment qu’il faut le faire, mais les jours se poussent sans que je ne reprenne le fil de mon histoire. À sec le keum ! Quelle est la part de paresse, celle du laxisme ? Ou la crainte d’aller plus loin et devoir alors affronter mon incompétence. Ecrivaillon je serais, incapable de passer le cap. Rester dans la cour des petits ad vitam aeternam et devoir mâcher une grosse boule de frustration sans jamais pouvoir l’avaler ou la cracher…
Des caps, j’en ai pourtant passé ! Une vie entière, deux tiers de siècle depuis quelques jours, à naviguer au travers ! Une allure rapide et franche, sans piège à con. Il y en a d’autres moins confortables, voire dangereuses, la navigation n’étant pas toujours une sinécure. Tu comprends cela quand tu as relâché ton attention lors d’un empannage et que le marin d’en face te hurle dessus « Baisse la tête !! », et que tu sens la baume te frôler les poils du crâne. Tu viens d’échapper à une catastrophe à cause d’une faute d’inattention.
Si j’ai mis le pied sur un bateau, ce ne fut qu’épisodiquement. J’y ai trouvé une très forte camaraderie, une exigence élevée et décontractée. J’y ai trouvé aussi la peur, une vraie peur devant la puissance démesurée des éléments. Face à laquelle nos vanités, malfaisantes boursoufflures, se dégonflent et nous laissent à poil, faisant ressortir le petit enfant que nous étions avant d’être con. Que ne l’écoutons-nous pas plus ce petit être délicieux, à fond dans le présent et libéré de toute crainte ou forfanterie ?
Sur l’eau, la peur arrive lorsque les conditions se durcissent. Elle ne disparait pas vraiment, mais on s’y habitue. Une situation hors normes, si elle dure, devient non pas banale, mais familière. Il y a des graduations dans la peur.
Parmi les expressions marines, il y en a une que j’affectionne particulièrement c’est se mettre à la cape. Ce qui me fait toujours penser à une autre, plus liée à la bande dessinée, avec un personnage tourné de trois-quart avec de grosses lunettes noires, et dont la main tire sa cape de super pas héro sur le visage pour en accentuer l’effet sournois. Ou l’expression rire sous cape.
Alors voilà, j’ai bien surfé sur la vie, les événements et les gens. Mon inconséquence n’eut d’égal dans les grands jours que mon égoïsme. Deux rames qui m’ont propulsé. Des rames mais point de barre. Une feuille bousculée par l’eau qui l’emmène de ci de là, toujours plus loin. On verra bien ce dont demain sera fait. En même temps, je me demande si les orgueilleux pensant diriger leur vie à 100% ne sont pas que des bouffons. Ils devraient toujours imaginer qu’à un moment la vie leur fera un coup de pute, le fameux coup de pied de l’âne ! On est jamais vraiment plus fort que son destin.
A ce moment de l’histoire, après deux tiers de siècle, comment ne pas se dire que le tiers restant sera moins simple, plus laborieux, moins fun et sans doute moins copieux. Il ne me reste que trop peu de temps. Alors, que se passe-t-il donc avec l’écriture ? L’urgence de me frotter à elle (j’ai eu envie d’écrire « à aile », c’est tellement plus poétique) bien expliquée par le texte Chevauche tes morts s’est délitée. Il me faut réactiver l’histoire. Mais putain de bordel de merde, comment ça marche ?
J’avais un rythme de plusieurs publications par semaine, j’ai même commencé à travailler sur quelque chose de plus long. Et en juillet de cette année 2019, crac, deux merdouilles de santé viennent se cumuler, me mettent minable et tarissent toute envie d’écriture.
L’écriture est une occupation (ce n’est certainement pas le meilleur mot pour en parler, mais voyez-en l’aspect générique, vous me comprendrez mieux) si simple et si complexe à la fois. Avant, notre main pilotait un stylo. Une fois la période d’apprentissage terminée, l’acte d’écrire avec une plume, avec un stylo ou ce que vous voulez, est quelque chose de quasi automatique, sauf à faire de la calligraphie, art réfléchi et engagé.
Maintenant, ce sont nos doigts, dix pour les meilleurs, deux pour d’autres moins agiles et je serais plutôt dans ce camp, qui font cliqueter le clavier, mais le geste est tout autant automatique. Visiblement, la transition entre notre corps et le support externe est la plupart du temps peu réfléchie. Mais le reste, le foutu putain de reste !!
Quel effort d’organisation mentale ne faut-il pas déployer ? Chacun a sans doute sa méthode, pas toujours consciente. Un mélange de plaisir et de souffrance à reformuler, bousculer ses mots, ses expressions, sa langue pour que le résultat se lise sans peine et avec un maximum de clarté. Parfois être très précis, ce que permet souvent la langue française, afin que l’idée soit perçue avec exactitude par le lecteur, sans ambiguïté aucune. Je l’appelle mon idéal Nabokov.
À d’autres moments, nous souhaitons aller plus vers une perception poétique. C’est l’idéal du poète, faire en sorte que le lecteur ressente ce que l’on veut dire malgré les mots. Initialement esclave de l’idéal Nabokov, je suis aujourd’hui tellement admiratif de beaux poèmes, quand les mots ne sont que des catalyseurs d’émotions. Les arts permettent cela, parler directement d’âme à âme. N’en déplaise à certains, je retiens plus le sens philosophique du mot âme que son sens religieux. Et si ce n’était que l’ensemble de nos référentiels, auxquels s’additionneraient nos expériences personnels, mâtinées du matériel génétique hérité, saupoudrés de notre manière de rire ou de pleurer. Plus l’âge du capitaine multiplié par le nombre d’or…
Certains cinglés ont même été jusqu’à mesurer le poids de l’âme : 21 grammes. On en rigole, n’est-ce pas ?
Faut-il se sentir complice avec le lecteur, le surprendre, le bousculer ? Ne serait-ce pas l’aimer en fait ? Ou alors on écrit pour soi, juste pour sa gueule et rien à foutre qu’on soit lu ou pas ?
L’important c’est d’écrire, enfin je crois…
L’important c’est d’écrire, n’est-ce pas ?
L’important c’est d’écrire.