Maux & Cris

Textes, Poèmes, Livres, Rêves et autres billevesées

Millénaire je suis. Ma tête tutoie le bleu et mes pieds s’enfoncent loin dans le sol. Je suis cramponné, campé, indestructible. De terribles tempêtes ont mis au sol nombre d’entre nous. Nous, les survivants, les invincibles, avons survécu assez longtemps pour voir nos frères allongés sur le sol attaqués par les insectes, la vermine. Ils font face longtemps, mais sucombent aux assauts incessants du temps et finissent par tomber en poussière. Je vois encore leurs ombres, leurs traces. Pour finir, il ne reste souvent qu’une trace de végétation différente, comme le souvenir de leur ombre. Nous avons une sacré mémoire…

Mes frères et moi, avec l’aide du vent, du temps et une opiniâtreté sans faille, avons replanté. La forêt dont je suis le pilier comble chaque trou. Du bout de mes pieds je sens mes frères grâce au réseau fongique autour de nos racines. Nous communiquons ainsi. Nombre d’ennemis tentent de nous affaiblir, mais les lunes passées nous ont donné des parades. Dès que mon frère est attaqué il m’informe, je l’aide à se défendre tout en augmentant mes protections. Si je suis attaqué, j’informe notre réseau social. Vous ne faites pas pareil ?

Nos racines fixent puissamment le sol. Ce faisant, nous évitons des innondations parfois ravageuses et protégeons la faune et la flore. Certains ont voulu priver les collines de cet ancrage, leur village n’y a pas survécu, emporté qu’il a été par des torrents de boue.

Nos frondaisons ne servent pas qu’à nous. Elles abritent nombre d’espèces, certaines font leurs maisons entre nos branches, parfois dans notre tronc. Toutes cohabitent avec nous. Nous nous entraidons. Il parait qu’un l’un de nos frères vit en Australie. Les humains (*) l’appellent eucalyptus. Des incendies monstrueux sont en train de les tuer, ainsi que de jolis petits animaux qui se nourissent de leurs feuilles. Les koalas, je crois que c’est leur nom, sont très menacés et pourraient disparaitre.

L’incendie, ça nous fait très peur, nous n’avons pas de défense contre cela, sauf dans les forêts primaires tropicales où nous arrivons à maintenir un taux d’humidité élevé. Il parait que la température de la planète augmente fortement et vite, par l’effet conjoint des cycles de notre planète,  qui aime tous les 10.000 ans souffler alternativement le chaud et le froid, et de l’activité humaine. Je ne sais pas ce que c’est les humains, mais je n’ai pas trop confiance. Trop de nos frères nous ont dit en avoir vu avant de disparaître à jamais.

Des bruits courrent les forêts que les humains – encore eux – cultivent des arbres et appellent ça des futaies (c’est eux qui ne le sont pas !). Pour eux cultiver c’est planter, faire pousser, puis au bout de quelques dizaines d’années, couic, on fait tout tomber. Evidemment, la végétation de ces futaies est réduite au minimum, elle pourrait gêner pour venir nous soigner et nous couper. Du coup, les futaies n’hébergent pas autant d’animaux que chez nous, dans les vraies forêts.

D’autres bruits, qu’il m’est impossible d’entendre, mon grume s’y refusant aveuglément, laisseraient à croire que des forêts entières seraient assassinées. Aucun arbre digne de ce nom n’y serait replanté, seules des essences produisant des trucs utiles aux humains auraient le droit d’exister. Une sorte d’assassination générale en fonction de ton essence. Aucune espèce digne de ce nom ne serait capable de pensées aussi destructrices.

Mais j’ai aussi entendu parler de villes, de pays, d’humains qui replantent des arbres pour recréer des forêts. Ceux-là ont compris nos vertus et se placent dans une compréhension globale des équilibres. Oui, nous capturons le CO2 et limitons le réchauffement climatique. Quand nous brulons, nous relachons le CO2 capturé et augmentons le réchauffement climatique. C’est simple à comprendre. Tu me plantes, tu prolonges ta vie, tu me brules, tu la diminues. Sans parler de toutes les vies animales liées à la mienne.

Humain, toi que je ne connais pas, ma vie d’arbre est entre tes mains. Tu vas faire quoi maintenant ? Tu continues à faire du pognon tout de suite ou tu veux vivre longtemps ?

(*) Humain : Selon les légendes chuchotées sur la canopée, ce serait une espèce d’animal capable du meilleur comme du pire. J’espère ne pas en croiser…

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Photo : Régis Vignon

 

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