Nos ancêtres sont morts. Englués dans notre confort nous avons perdu la mémoire des guerres et sommes captivés par notre nombril plus que par des valeurs qui nous réuniraient et nous feraient nous transcender. En lisant Emile Zola (ci-dessous) on ne peut qu’admettre que l’histoire bégaye, et que nous ne cessons de placer nos pas dans les traces de nos anciens.
Jeunesse, jeunesse ! Souviens-toi des souffrances que tes pères ont endurées, des terribles batailles où ils ont dû vaincre, pour conquérir la liberté dont tu jouis à cette heure. Si tu te sens indépendante, si tu peux aller et venir à ton gré, dire dans la presse ce que tu penses, avoir une opinion et l’exprimer publiquement, c’est que tes pères ont donné de leur intelligence et de leur sang. Tu n’es pas née sous la tyrannie, tu ignores ce que c’est que de se réveiller chaque matin avec la botte d’un maître sur la poitrine, tu ne t’es pas battue pour échapper au sabre du dictateur, aux poids faux du mauvais juge. Remercie tes pères, et ne commets pas le crime d’acclamer le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, l’intolérance des fanatiques et la voracité des ambitieux. La dictature est au bout.
Emile Zola, Lettre à la jeunesse ,1897
L’Europe a été pensée et construite par les générations qui ont vécu et survécu aux deux grandes guerres du vingtième siècle. 90,8% de notre population actuelle (cf. fig 1) n’a pas vécu la guerre en métropole. Nous oublions que la paix apportée et la force acquise reste précaire. Dans un environnement mondialisé, nous sommes grands avec l’Europe, et insignifiants sans elles. Avec l’Europe, les autres grandes puissances (Chine, USA, Inde, Russie) ont un concurrent notable, sans elle, les autres grands seraient plus grands encore et notre France retournerait à l’état de vassal.

Elle s’est construite en quelques dizaines d’années, mais avec un mode de décision si extrême (l’unanimité) qu’il ne laisse passer que des mesurettes peu structurantes qui ne répondent ni à l’attente des anti-Europe, qui trouvent dans son immobilisme la confirmation de son inutilité, ni à celle des pro-Europe, qui voudraient aller plus loin vers un budget, une armée, un gouvernement.
Pendant ce temps, et c’est révélateur, Donald Trump a très discrètement dégradé le statut diplomatique du représentant de l’Europe aux USA. De la 27 position où il était considéré jusque-là, ce représentant a été appelé à la 173 position lors de cérémonies récentes (Source le Figaro) C’est le signe discret mais clair que l’attaque a méthodiquement commencé. Par ailleurs, il a envoyé son ami Steve Bannon exciter les envies d’exit des populistes. Cela se passe sous nos yeux et comme disait Chirac en 2002 (bientôt 20 ans) au sujet du climat « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».
En France, les gilets jaunes occupent le terrain politique et interdisent au gouvernement de dérouler un programme de réforme ambitieux, le premier depuis des lustres. La maladresse des gouvernants a fait le reste, en oubliant que derrière les masses statistiques, il y avait des gens qui vivaient parfois très difficilement. Donner aux plus riches en même temps que l’on prend aux pauvres est une maladresse de débutant, qui pourrait même être disqualifiante.
Il ne faut pas se tromper, les gilets jaunes ont de bonnes raisons de manifester leur colère. Depuis des décennies, les politiques se font sans le peuple, que l’on a totalement dépossédé du pouvoir. On lui demande d’aller voter et ensuite de se taire et de subir, avec l’idée que la démocratie s’exerce dans les urnes et pas ailleurs. Revenons à la définition du mot démocratie. Intuitivement, nous avons en tête que cela signifie le pouvoir du peuple. Le dictionnaire Larousse en dit plus :
1.Système politique, forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple.
2.État ayant ce type de gouvernement.
3.Système de rapports établis à l’intérieur d’une institution, d’un groupe, etc., où il est tenu compte, aux divers niveaux hiérarchiques, des avis de ceux qui ont à exécuter les tâches commandées.
Le premier point confirme ce que nous pensons intuitivement, à savoir que la souveraineté émane du peuple. Elle colle avec le fait de voter et se taire ensuite. La troisième partie de la définition est plus intéressante, et pourtant pas du tout respectée. Le fameux système de rapports ne tient absolument pas compte de l’avis du peuple. Nos gouvernants se basent sur des sondages, réalisés par des organismes privés spécialisés, et payés par nos deniers, et pas sur l’avis du peuple. Pour en savoir plus consulter la liste des principaux instituts (à noter l’un des plus connu, IFOP, non côté en bourse, dont la quasi-totalité des actions est détenue par Mme Laurence Parisot, Ex-présidente du MEDEF, et vice-présidence du directoire depuis 2008. Attention, ils sont nombreux et pas tous attachés au MEDEF).
Il est à noter que selon la manière dont on pose une question, on influe sur la réponse. D’autre part les panels (échantillon de la population interrogée) sont souvent constitués par des sociétés spécialisées. On voit d’une part l’empilement de sous-traitance, d’autre part une méthode de définition du panel dont on ne sait pas grand chose, et pour finir un coût non négligeable que nous autres, contribuables, payons avec nos impôts. En résumé, nous payons fort cher des sondages dont on doute de l’éthique et avec lesquels nos gouvernants prennent des décisions. On est loin de la troisième partie de la définition ci-dessus. Ne pourrait-on pas poser la question directement aux contribuables via un site public, en demandant au répondant de préciser les informations sectorielles adéquates. Cela coûterait moins cher et permettrait de faire participer tout un chacun.
Nos ministres sont également entourés de conseillers, qui en grande majorité, sortent des mêmes formations qu’eux (ENA et Sciences PO). Ce sont de très bons élèves, avec d’excellentes capacités intellectuelles, à qui l’on a appris à raisonner d’une certaine manière. Ils ont beau travailler beaucoup, ils ne nous représentent pas. Cela donne l’impression d’une caste qui décide de notre avenir sans nous. Leur langage même devient un gag. Quand on voit les questions des journalistes qui deviennent de plus en plus incisives pour faire dire ce que les politiques ne veulent pas dire et toutes les ruses utilisées par ces derniers pour ne dire que ce qu’ils veulent, plus aucun sujet ne devient important, tout se cristallisant non plus sur le fond mais sur la forme. Ce point là renforce le malaise.
Bref, une fois passée le temps de l’élection, les élus font ce qu’il veulent et n’écoutent le peuple que lorsque celui-ci descend dans la rue. Ils ont donc pris l’habitude de ne toucher qu’à l’épaisseur du trait et surtout pas au fond des choses.
Grosso modo, plus ou moins adroitement, c’est ce que disent les Gilets Jaunes. Sur ce point ils ont raison. Notre mode de fonctionnement est périmé, obsolete, inefficace, usé jusqu’à la corde. Il se tend et risque fort de nous claquer à la figure. La cinquième république est à bout de souffle, perfusée dans son unité de soins palliatifs. Vouloir la maintenir en vie est suicidaire et ne mènera qu’au chaos. La sixième devra être participative, devra rapprocher élus et population. Le chantier est énorme, mais il pourrait faire émerger un mode de fonctionnement à la pointe de la démocratie.
Nos aspirations écologiques ont aussi été bien mal traduites par le gouvernement, qui a préféré punir les mauvais comportements (augmentation des taxes sur le diesel) plutôt que favoriser les bons comportement (encourager fortement les passages aux énergie propre). Là encore une maladresse où le fait de remplir le budget a été privilégié par rapport à l’efficacité d’une démarche écologique. Le résultat, un rejet massif des mesures dites pour favoriser l’écologie, pourrait laisser entendre que le peuple se contrefout de ce sujet, ce qui est faux, mais face aux sujets de fin de mois, le sujet sujet écologie ne fait pas le poids.
Mais pourquoi mélanger Europe et situation Française ?
L’Europe courre un grand risque. L’objectif initial de paix a été oublié, le ronron dont elle fait preuve laisserait entendre que l’objectif est atteint alors que nous ne sommes qu’au début. Elle s’en sortira techniquement en modifiant son mode de décision, et humainement en se dotant de valeurs partagées, et d’une forte ambition. Là où certains voudraient freiner, il faut avancer plus fortement, laisser de côté la fameuse courbure des bananes pour aller vers des vrais changements.
En parallèle, la révolte gronde dans les pays, bien attisée par les extrêmes, et peut-être aussi par l’étranger. En France, les partis traditionnels ont perdu toute crédibilité à force de suffisance et d’incompétence. Exsangues, il n’interviennent plus, ne proposent rien si ce n’est des raidissements pour tenter de récupérer les votes volés par les extrêmes. On laisse les forces de police et de gendarmerie en découdre avec les ailes violents des manifestants.
En croisant l’état de l’Europe et la situation des pays la composant, plus particulièrement le nôtre, tout semble fait pour nous écarter de ce qui consoliderait la paix. Il faudrait un contre-pied notable de la part de notre gouvernement, et une métamorphose de l’Europe pour éviter le chaos. Et pendant ce temps, les marmottes……
Je serais tellement heureux d’avoir tort !