Je commence mon billet en tentant un haïku plus conforme que mes précédents, c’est à dire avec le traditionnel kigo (indication d’une saison ou de quelque chose de la nature). C’est également l’occasion de remercier mon amie Nobuko Tamamura qui a traduit en Japonais certains de mes haïkus, pourtant dépourvus du moindre kigo.
I start my post by trying a haiku that is more consistent than my previous ones, ie with the traditional kigo (indication of a season or something from nature). This is also an opportunity to thank my friend Nobuko Tamamura who translated some of my haikus into Japanese, yet without any kigo.
Inflorescence
Amie Nobuko
Mes haïkus en Japonais
Inflorescence
So the flowers grow
My friend Nobuko
Japaneseeze my kaïkus
So the flowers grow
Régis Vignon – 27 juillet 2020
Cesare Pavese, encore lui me direz-vous, dans son journal, a posé cette phrase sibylline en face du 2 décembre 1937 « Aujourd’hui, tu as trop parlé. ». Cela sonne comme un coup de fusil sans appel. Mais vous me connaissez, cela ne suffit pas…
Il s’adresse à son journal, on pourrait donc penser que c’est à lui-même qu’il s’adresse. Un journal est-il réellement fait pour soi-même ? Ou ne serait-ce pas plutôt pour la postérité ? Ne serait-ce pas simplement le refuge pour ne pas perdre ce qui le traverse. Un sauvetage, un havre pour d’éphémères fulgurances.
Cela ne voudrait-il pas évoquer le fait que la parole serait ennemie de la pensée ? N’oublions pas que nous avons à faire à un poète et pas à un homme pratique, concret, habilité à négocier avec la vie aisément et avec détachement, sans forcément engager tout son être.
Un poète c’est un albatros, habile à voler sur les pensées et sur les mots, mais si maladroit au sol. Baudelaire nous l’a si bien dit. Charles, la parole est à toi…
Cesare Pavese, you will tell me again, wrote in his diary this cryptic sentence opposite December 2, 1937 « Today, you have spoken too much. « . It sounds like a shotgun blast. But you know me, that is not enough for me …
He is addressing his journal, so you would think it is himself that he is addressing. Is a journal really made for yourself? Or would it not be more for posterity? Wouldn’t it be simply the refuge not to lose what is going through him. A rescue, a haven for fleeting flashes.
Wouldn’t that mean that speech would be the enemy of thought? Let us not forget that we are dealing with a poet and not with a practical, concrete man, able to negotiate with life easily and with detachment, without necessarily involving his whole being.
A poet is an albatross, skilled at flying over thoughts and words, but so clumsy on the ground. Baudelaire told us so well. Charles, the floor is yours …

Charles Baudelaire – Par Étienne Carjat — Source of original: Gaston Schéfer (ed.), Galerie contemporaine littéraire, artistique (Paris, 1876-84), vol. 3 part 1British Library: Image; Metadata, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?cu
L’albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire – Les fleurs du mal – 1861
The Albatross
Often, to amuse themselves, the men of a crew
Catch albatrosses, those vast sea birds
That indolently follow a ship
As it glides over the deep, briny sea.
Scarcely have they placed them on the deck
Than these kings of the sky, clumsy, ashamed,
Pathetically let their great white wings
Drag beside them like oars.
That winged voyager, how weak and gauche he is,
So beautiful before, now comic and ugly!
One man worries his beak with a stubby clay pipe;
Another limps, mimics the cripple who once flew!
The poet resembles this prince of cloud and sky
Who frequents the tempest and laughs at the bowman;
When exiled on the earth, the butt of hoots and jeers,
His giant wings prevent him from walking.
Charles Baudelaire – Flowers of evil – 1861 – Translate by William Aggeler in 1954
Ne vous imaginez pas aussi aisément sortis d’affaire, Cesare reviendra… En attendant, je vous souhaite une très belle journée mes ami(e)s.
Do not imagine yourself so easily out of the woods, Cesare will be back … In the meantime, I wish you a very nice day my friends.
Crédits : textes (Sauf l’Albatros de Charles Baudelaire) et photo de la plume Régis Vignon.
Credits : texts (except The Albatross by Charles Baudelaire) and photo of the feather by Régis Vignon.
Merci pour cette intéressante rencontre des photos et des textes, la douceur du regard de Pavese, la violence et la rage de Baudelaire…
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Très bien observé. On devine dans les yeux de Pavese sa future incapacité à gérer la vie comme dans la force tourmentée du visage de Baudelaire. A noter un portrait plus tardif de Baudelaire, quelques mois avant sa mort, où ne subsistera plus que le tourment.
Bonne journée.
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Le Poète est semblable au prince des nuées /
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ; /
Exilé sur le sol au milieu des huées, /
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. /
Quelle belle description de l’état de poète. Un de mes poèmes préférés, « l’albatros », de BAUDELAIRE.
Le « aujourd’hui, j’ai trop parlé » de PAVESE m’évoque aussi la fin du « Bateau ivre » d’Arthur Arc-en-ciel RIMBAUD (antépénultième quatrain).
Mais vrai, j’ai trop pleuré, les aubes sont navrantes /
Tout soleil est atroce, et toute lune amère… /
Je crois que j’ai assez parlé pour aujourd’hui, bonne journée, Régis. 🌞
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Depuis tout petit je haïs ces hommes d’équipages pour avoir martyrisé ainsi cet oiseau, avant de comprendre le second degré.
Même maintenant, je continue de les haïr. Alors que j’adore le mot haïr, d’ailleurs… pas l’idée, juste le mot ! 😉
Le bateau ivre est une merveille, de la première ligne à la dernière. Il est vrai, Jean-Louis, que la formule « j’ai trop pleuré » est proche de « j’ai trop parlé ». L’un est parfois bien peu loquace, je m’attaquerai à ses poèmes plus tard, où le second est pourvu d’une langue incroyable.
Belle journée Jean-Louis.
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Il fut un temps où je le connaissais par cœur, le Bateau ivre, avec ses 25 quatrains. Maintenant, j’aurais du mal à aligner de mémoire sa centaine de vers, mais il m’en reste d’assez vastes fragments. Assez pour que ces idées/images me reviennent de ci de là, quand le besoin s’en fait sentir. (magie de la poésie)
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Quelle chance ! Ma mémoire n’a jamais été à la hauteur !
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Régis, à propos de journal, le lyonnais Charles Juliet se distingue. Par ailleurs, merci pour cette irruption de l’Albatros dans cette journée chaude et molle.
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Je n’ai pas trouvé l’information récente concernant Charles Juliet. Pourriez-vous me mettre sur la voie, Renée, s’il vous plait?
Cet Albatros, dont la marine irruption peut nous rafraîchir, a traumatisé mon enfance. Enfin ce sont surtout les hommes d’équipage qui le martyrisaient qui m’ont dérobé une partie de mon angélisme. Aujourd’hui, il n’en reste que la trace de l’ombre…
Oui, cette journée n’en finit pas d’être chaude et molle. C’est éprouvant. J’ai des souvenirs de grosses chaleurs à Lyon…
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Ha, ha, ha ! Je ne suis pas le seul aux aurores devant l’écran, enfonçant les touches d’un clavier pour nourrir un Blog et autres partages… Bonne journée et merci de votre visite.
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Le sommeil a sa propre vie qui ne croise la mienne que lorsqu’il le souhaite.
Bonne journée Bernard
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