Maux & Cris

Textes, Poèmes, Livres, Rêves et autres billevesées

En ce moment je lis un livre de Cesare Pavese qui se nomme « Le métier de vivre ». L’auteur s’interroge sur son art d’écrivain et de poète. Il dissèque tout en profondeur et en détail. C’est une introspection sur ce qu’il a écrit, sa vie, les interactions entre les deux. Il aborde autant des questions générales comme le sens de la vie que sur des points particuliers comme ses relations avec untel, ou encore et surtout ses rapports avec son art. C’est un journal intime, à chaque date il propose une réflexion d’une page.

At the moment I’m reading a book by Cesare Pavese called “The job of living”. The author questions his art as a writer and a poet. He dissects everything in depth and detail. It’s an introspection on what he wrote, his life, the interactions between the two. He deals as much with general questions such as the meaning of life as with particular points such as his relationship with so and so, or even and especially his relationship with his art. It’s a diary, on each date it offers a one-page reflection.

Hier j’ai été crucifié par une date où figurait seulement « Aujourd’hui, rien. ». Comme expression sibylline, il est difficile de faire mieux. Deux mots, deux signes de ponctuation. Je me suis dit qu’il n’avait sans doute vraiment rien à dire ce jour-là.

Yesterday I was crucified by a date that only read « Today nothing. « . As a cryptic expression, it’s hard to beat. Two words, two punctuation marks. I thought to myself that he probably really didn’t have anything to say that day.

Du coup, je suis reparti en arrière pour voir s’il lui arrivait de sauter des jours dans son journal. Effectivement, certaines dates n’apparaissent pas. Ce qui veut dire que la journée où il a écrit « Aujourd’hui, rien. » n’est pas une journée banale. Sinon, il aurait sauté la date, comme il l’avait déjà fait d’autres fois. Non, c’était une journée spéciale. Une journée où ces quatre lettres « rien » devaient représenter une totale non-existence en tant qu’écrivain ou en tant qu’homme. Une absence de réflexion à apporter à son discours, alors qu’il aurait voulu alimenter le moulin.

So I went back to see if he ever skipped days in his journal. Indeed, some dates do not appear. Which means the day he wrote « Today nothing. « Is no ordinary day. Otherwise, he would have skipped the date, as he had done in other times. No, it was a special day. A day when those four letters « nothing » had to represent total non-existence as a writer or as a man. An absence of thought to bring to his speech, when he would have liked to feed the mill.

Un constat d’échec. Cesare Pavese nous disait avec ce « Aujourd’hui, rien. » son impuissance, même momentanée, face à son « métier de vivre ». Il aurait pu enrober, diluer, contourner. Non, il a affronté et a accepté sa faiblesse. Et le lendemain, il est reparti comme devant, sans s’appesantir sur cette journée blanche. Et dans ce simple fait, transpire la force et l’expérience de l’écrivain, autant que sa faiblesse. Il accepte sa faiblesse, ne la cache pas, l’affiche même. C’est un fait. Mais il ne s’y arrête pas, et c’est sa force.

A statement of failure. Cesare Pavese said to us with this « Today nothing. His impotence, even momentary, in the face of his “living profession”. He could have coated, diluted, bypassed. No, he faced and accepted his weakness. And the next day, he left as before, without dwelling on that white day. And in this simple fact, the strength and experience of the writer exudes as much as his weakness. He accepts his weakness, doesn’t hide it, even flaunts it. It’s a fact. But he doesn’t stop there, and that’s his strength.

Ou alors, c’est de l’humour de second degré. Ce jour-là aurait mal commencé, une flaque d’eau dans la salle de bains et vlan, Cesare glisse, tombe, explose la paroi de la cabine de douche. Non, ça n’est pas possible. Il avait forcément une douche à l’italienne. Donc je reprends, Cesare glisse, tombe et se fait super mal à la hanche. Il se relève, difficilement, essuie la flaque d’eau avec le tapis de bain et ses pieds. Il grimace à cause de sa hanche et finit par s’installer devant le miroir. La lumière souligne son visage encore beau. Il rentre son petit ventre, attrape la savonnette, se passe les mains sous l’eau, et commence à se laver les mains. D’un coup, la savonnette file hors de ses mains, tape contre le miroir et lui revient droit dans la figure…

Or it’s second-degree humor. That day would have started badly, a puddle in the bathroom and wow, Cesare slips, falls, explodes the wall of the shower stall. No, that is not possible. He had to have a walk-in shower. So I resume, Cesare slips, falls and hurts his hip really bad. He gets up, with difficulty, wipes the puddle with the bath mat and his feet. He grimaces at his hip and ends up settling in front of the mirror. The light underlines her still beautiful face. He tucks in his little stomach, grabs the bar of soap, runs his hands under water, and begins to wash his hands. Suddenly, the bar of soap slips out of his hands, taps against the mirror and comes right back to him …

Je saute quelques étapes mineures pour arriver au moment où il entre dans la cuisine. Sur la table, un mot de sa compagne, qui lui dit qu’elle l’aime mais qu’elle ne supporte plus ses absences mentales d’écrivain. Elle se casse pour faire le point. Faire le point, ben voyons, elle se casse quoi !!

I skip a few minor steps to get to the moment he walks into the kitchen. On the table, a note from his companion, who tells him that she loves him but that she can no longer put up with his mental absences as a writer. She breaks to take stock. Take stock, well let’s see, it breaks what !!

Il va sur l’ordi. Dans la messagerie, un mot de son éditeur. Mon très cher Cesare, mon ami,….. au sujet …. à valoir …. prochain livre …. étudié …. situation compliquée …. pas possible …. contexte …. impossible faire autrement …. désolé …. pas m’en vouloir …. amitié sincère …. Indéfectible …. plaisir se voir ….

He’s going on the computer. In the messaging, a word from his editor. My very dear Cesare, my friend,… .. about…. to be worth…. next book…. studied…. complicated situation…. Not possible …. context…. impossible to do otherwise…. sorry…. don’t blame me…. sincere friendship …. Unwavering…. pleasure to see each other….

Toute la journée n’aurait été qu’une succession de catastrophes pour finir sur une coupure d’électricité alors qu’il finissait un livre passionnant et qu’il arrivait au dénouement.

The whole day would have been a succession of disasters to end with a power cut as he finished an enthralling book and came to the end.

Là, au moment d’écrire la page de la journée sur son journal intime, ne lui vient que cette formule ironique « Aujourd’hui, rien. ». Un autre aurait éclaté de rire, un rire nerveux mais libératoire. Lui est resté impassible.

There, when it comes time to write today’s page in his diary, only the ironic phrase « Today nothing. « . Another would have burst out laughing, a nervous but liberating laugh. He remained impassive.

De toute façon, un jour il se suicidera. Un jour il fermera son journal avec « Tout cela me dégoûte. — Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus. ». Tout comme il laissera un dernier texte en évidence, qui se terminera par « Assez de mots. Un acte ! ». Son dernier texte s’appellera « La mort viendra et elle aura tes yeux »

Either way, one day he will kill himself. One day he will close his newspaper with « All this disgusts me. » – No words. A gesture. I will not write any more. « . Just as it will leave one last text in evidence, which will end with « Enough words. » An act ! « . Her last text will be called « Death will come and she will have your eyes »

Cesare Pavese est né le 9 septembre 1908. Il s’est suicidé le 27 aout 1950 en laissant les mots du paragraphe précédent.

Cesare Pavese was born on September 9, 1908. He committed suicide on August 27, 1950, leaving the words of the previous paragraph.

6 réflexions sur “L’Emplumé est crucifié par Cesare Pavese… / The Feather is crucified by Cesare Pavese

  1. Antoine Jumelle dit :

    Fiou… Très beau et aussi très noir.
    Bonne journée .

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    1. Maux&Cris dit :

      Il y a des gens qui ne trouvent pas leur compte dans la vie. Quand cela finit mal comme avec Pavese, il reste un manque, le manque de tout ce qu’aurait pu nous laisser l’artiste. La vie est si précieuse, quel gâchis !
      Bonne journée Antoine.

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  2. Lazuli Biloba dit :

    Si Pavese avait eu un blog, il l’aurait peut-être intitulé Maux&Cris… Attention à ne pas sombrer dans le mimétisme !

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    1. Maux&Cris dit :

      Je veux bien si l’on considère sa production ! 😉 mais je n’envisage pas la même fin. Le mimétisme ne sera pas total ! 😂

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  3. ID de femmes dit :

    J’ai lu le « Métier de vivre » à l’orée de mes 25 ans. Trop d’insouciance m’habitait alors. C’est bien plus tard, lors de sa relecture que le livre m’a frappée. Tant de vérité…

    Aimé par 1 personne

    1. Maux&Cris dit :

      La lucidité peut être désespérante. Nous avons besoin de croire en des licornes, des chimères. C’est sans doute une des raisons qui a fini par le tuer. Mort par overdose de lucidité !

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