Maux & Cris

Textes, Poèmes, Livres, Rêves et autres billevesées

Chère lectrice, cher lecteur, 

Ce matin du mercredi 5 février 2020, Philippe Lançon est interviewé sur France Inter. J’entends sa voix douce et souriante répondre aux questions posées. Philippe Lançon est le nouveau président du livre Inter 2020.

L’an dernier, j’avais osé me porter candidat pour être juré du prix 2019. Je ne comptais pas récidiver. Non, je n’étais pas vexé de ne pas avoir été retenu. L’exercice m’avait d’ailleurs beaucoup plu, et le refus m’avait quelque peu soulagé de ne pas devoir absorber une grande quantité de livres non choisis par ma méthode personnelle quasi scientifique.

Un livre c’est l’histoire d’une rencontre entre l’objet et son lecteur. Quelle magie, quelle alchimie préside à cette rencontre ? Parfois c’est une émission vue ou un article lu qui nous met sur la voie. Eventuellement un ami, mais là, cela se rapproche d’un mariage arrangé…

Plus souvent, pour ma part, c’est la balade entre les rayons de ma librairie préférée, ou d’une autre plus opportuniste, qui décide. Parfois j’y viens avec l’idée précise du livre à acquérir, mais le plus souvent rien n’est prévu, sauf d’acheter un livre. Si je suis en veine, je cherche un type de livre, un sujet précis ou un auteur.

Je m’arrête sur le titre, la collection, l’auteur, l’incipit, le résumé en quatrième de couverture. La photo ou le dessin de la couverture peut suffire à faire le déclic. Une promesse d’intérêt, une envie d’aller plus loin doit électrifier ou déclencher une réaction chimique dans quelques synapses de mon cerveau. Si mes synapses sont parties en vacances, trop occupées à autre chose ou même décédées, alors, ce jour-là, je rentre bredouille et quelque peu malheureux. C’est important d’avoir une liste de livre à lire.

Parfois, j’ouvre un livre toujours en prenant garde de ne point le maltraiter et me fie au style d’un paragraphe pris au hasard. Là, c’est la promesse du bonheur qui me décide. En parlant de maltraitance, je ne corne pas les livres. Il m’est arrivé dans des temps anciens, la vie ne m’avait pas encore assez poli, alors que je l’ai toujours été, poli, de corner les livres de poche. Pas avec une trompette ou un cor de chasse, plus prosaïquement avec mes doigts.

Je n’écris pas non plus, ni mon nom dessus, ni mes remarques dedans. Je n’ai pas toujours agi ainsi, ayant été un peu sagouin à mes débuts. Maintenant, si un passage mérite que j’y revienne plus tard, parce que particulièrement bien écrit ou suscitant assez d’intérêt, de réflexion ou de perplexité pour y revenir plus tard, je dispose délicatement un petit témoin repositionnable aussi délicat et furtif qu’un baiser sur la joue d’une amie très chère. J’ai failli parler de baiser volé, mais c’eût été fort inapproprié, et de plus je ne vole jamais rien. Enfin, si, le sagouin a bien dû voler un livre ou deux….

Maintenant que je suis grand, et c’est loin d’être une information récente, je voue une vénération remarquable aux marque-pages. J’en réclame dans les librairies où je vais pour la première fois, comme ce matin à Evreux. La personne à la caisse m’en sort une d’une extrême mochitude. Je lui ai laissé, accompagné d’un air dédaigneux. Je les ai pourtant soulagés de deux petits livres de Christian Bobin, un de Jean Echenoz ainsi que du dernier Beigbeder. Aucun marque-page à la hauteur de ces trois auteurs n’était présent. Je me demande ce que font les éditeurs….

Le plus beau de mes marque-pages est une enluminure achetée à l’artiste au salon du livre de Vernon où j’avais été rencontrer une auteure croisée sur les réseaux sociaux. J’y ai également rencontré d’autres auteur(e)s, l’une d’entre elle étant même devenue une amie très chère avec qui nous partageons régulièrement un repas fort sympathique et souriant.

Cela tient à pas grand-chose une rencontre littéraire. Je relis la lettre de candidature soumise l’an dernier et me dis que ce n’était pas trop mal, que j’y avais tout dit mais que cela n’avait pas suffi aux sélectionneurs pour m’adopter. Je ne sais pas comment faire mieux et décide, sauf changement de position tardive de stopper là pour l’instant. Le livre Inter 2020 saura bien se passer de moi.

23 février. Un ami, ex-collègue de travail, m’adresse des mots flatteurs au sujet du blog par moi commis, qu’il vient de feuilleter. Il y a vu exactement ce que je voulais exprimer. Il me demande si je compte présenter ma candidature cette année. Je lui réponds que non, ayant tout dit, ou alors, peut-être, si je me décidais à participer il me faudrait travailler la forme, puisque le fond me semble bon.

Et me voilà à gamberger, comme l’avait sans doute fait Georges Brassens avec sa non-demande en mariage, sur une lettre de non-candidature. Cette option me permet de continuer la présente missive sans renier la moindre ligne déjà écrite. Et puis, comme souvent avec moi, une contrainte, une situation extrême ou un anachronisme me met un coup de boost. Du coup,

Chère lectrice, cher lecteur,

Un grand nombre de livres a traversé mon existence, témoin d’une longue appétence débridée. J’ai lu des classiques japonais contant des aventures de Samouraï, des haïkus et autres poèmes, mais je me suis aussi avalé tout Balzac, de la collection verte, de la collection rose, plein de science-fiction, de l’héroïc fantasy, des foultitudes de romans, d’essais, quelques essais philosophiques, des livres sur les vikings ou sur Guillaume le Conquérant, que certains, soucieux de préserver l’amitié franco-britannique, préfèrent appeler Guillaume de Normandie.

J’ai eu ma période littérature érotique, puisqu’ayant dévoré avec bonheur quelques onze mille verges du sieur Apollinaire, ou d’autres encore plus raides. J’ai eu ma période américaine, avec Bukowski, James Ellroy ou encore Dashiell Hammett, et puis ma période anglaise, allemande….etc.… J’ai adoré et aime toujours Philippe Djian et son écriture directe autant que la prose riche de forme et de sens de Philippe Bobin. J’ai adoré Amélie Nothomb mais parfois la passion a aussi une fin, souvent douloureuse…

La bande dessinée me plait aussi beaucoup, car si l’image m’obsède, la photo me turlupine et le dessin m’enchante. Bien sûr, nous préférons inventer nos propres images pour illustrer un texte, mais celles apportées par la bande dessinée nous installent plus directement dans l’histoire. C’est grâce au président du Livre Inter 2019, Riad Sattouf, dont on m’avait offert l’Arabe du futur, que j’ai postulé l’an dernier. Son œuvre, sa voix, son sourire, tout concourait.

Je suis devenu ami avec un auteur de bandes dessinées américain, rencontré à une séance de dédicace. Il a d’ailleurs participé à une mise en abyme amusante. J’habite une maison qui figure, sans en être le sujet principal, sur un « petit » tableau de Claude Monet. Un jour je me décide à retrouver l’endroit d’où le peintre avait dû peintre son tableau et prend une photo cadrée exactement comme le tableau du maître. Aussitôt fait, la photo est publiée sur Facebook. Quelques heures plus tard, mon ami dessinateur m’adresse une copie de l’aquarelle qu’il a fait d’après ma photo. Evidemment j’ai acquis l’aquarelle.

Or, ce dessinateur avait réalisé une excellente bande dessinée plutôt destinée aux jeunes sur une souris venue à Giverny afin d’apprendre les techniques de Claude Monet. Seconde mise en abyme, lui-même étant venu à Giverny pour la même raison et ayant eu l’idée de sa bande dessinée en ce lieu. Me serais-je un peu trop abîmé à vous parler de cette histoire ? Oui, dégagez-moi, chère lectrice, cher lecteur, je ne mérite pas de…. !!

Tiens, à propos, j’ai lu et adoré le Lambeau de Philippe Lançon. Pensant être aguerri aux hôpitaux, j’ai rapidement compris mon erreur. Son amour du jazz a croisé le mien. Sa manière de parler de l’attentat de Charlie dont il fut victime, avec cette forme de distanciation, ne s’attardant que sur ses ami(e)s victimes sans s’attarder sur les bourreaux et leurs folles raisons, m’avaient même incité à chroniquer son livre sur mon blog. C’est dur de savoir que je n’aurai pas l’occasion de lui exprimer l’immense impression que m’a fait son livre.

Bref, tout cela pour dire, digression incluse, que je choisis habituellement mes livres avec une extrême précision autant qu’en me fiant au hasard de la rencontre. De votre côté, vous allez m’imposer une liste de livres dont j’ignore la nature. C’est une contrainte énorme, et je ne suis pas certain d’avoir envie de la subir. Voici une bonne raison de ne pas candidater, ou pour vous, de ne pas me retenir. En même temps, incohérence de l’humain, j’adore les contraintes…

De plus, autant j’ai plaisir à parler, quitte à lasser, d’un livre que j’ai aimé, autant vous me verrez coi concernant un livre que je n’ai pas aimé, ou pire, que je n’ai pas fini. Le silence n’est-il pas la meilleure attitude à avoir pour laisser un mauvais livre dans l’ignorance où il devrait flotter pour l’éternité ? N’en pas parler n’est-il pas plus efficace ? Plutôt que de glauser méchamment dessus…. de nos jours tout le monde ferait n’importe quoi pour le fameux quart d’heure de gloire Warholien.

Pouvez-vous confier à un juré des livres si mauvais qu’il n’en dirait rien ? Impensable, n’est-ce pas, sauf…. sauf si c’est pour garder du temps pour les beaux livres, ceux qui méritent des explications, les livres que l’on veut défendre. Evidemment, vous ne nous procurez que de très bons livres, cette objection tombera d’elle-même. On ne sait jamais, si vous avez un doute, éliminez-moi, s’il vous plait, j’aime trop parler pour rester à ne rien dire.

Vous souhaitant plein de beaux livres et le meilleur prix du Livre Inter, je reste livrement vôtre,
Régis Vignon

Tél : 0630881604
Courriel : regis.vignon@free.fr
Blog personnel : www.mauxetcris.com

6 réflexions sur “Non candidature livre Inter 2020 – 2 mars 2020

  1. Jg Roy dit :

    Bravo Régis d’avoir changé d’avis !
    Cette lettre de non candidature au livre Inter 2020 est excellente.
    Tu as fait preuve de recul et cela donne une lettre beaucoup plus simple et légère que l’an dernier.
    Je te souhaite d’être éliminé de la liste des non candidats et d’intégrer le jury 2020 …

    Aimé par 2 personnes

    1. Maux&Cris dit :

      Merci Jean-Guy ! On verra bien ce que cela donnera ! J’ai peu d’illusion et l’impression de m’être trop pressé.
      Merci d’avoir suivi l’histoire… et puis, n’oublions pas, si je passe c’est grace à toi !!

      Aimé par 1 personne

  2. À lire ce billet, je crois que nous avons pas mal de goûts en commun, y compris dans la manière de s’exprimer (j’ai aimé le témoin repositionnable que tu apposes dans tes livres pour marquer les passages qui te plaisent, moi-même suis un adepte de « papillon autocollant repositionnable).
    Bonne journée.

    Aimé par 1 personne

    1. Maux&Cris dit :

      Merci pour ton passage, ton j’aime et ton commentaire. Excellente journée confinée !

      J’aime

    2. Maux&Cris dit :

      C’est drôle, j’ai reçu récemment un courrier et un paquet de marque-pages d’une personne, inconnue de moi, qui a candidaté aussi au jury du livre inter et qui collectionne les marque-pages. Elle confirme partager nombre des points de mon courrier. Existerait-il une communauté informelle de lecteurs compulsifs ?

      Aimé par 1 personne

  3. Oui, une telle communauté doit exister !

    Aimé par 1 personne

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