Les deux sont du sud, l’un de Hyères, l’autre de Bayonne. Ils ont presque le même âge. Les deux sont d’une fratrie de musiciens et ont une carrière bien remplie sous leur nom ou en collaboration avec les plus grands.
En 1999 ils ont déjà collaboré à un album duo appelé Ameskeri, ce que veut dire Rêver ou songe en langue Basque. Vingt ans après ils ont remis le couvert. Une envie, plus qu’une obligation, de voir ce qu’il pourrait sortir de leurs instruments vingt ans après. Vingt ans se sont écoulées et des musiciens évoluent beaucoup dans cette durée.
Pour en savoir plus sur leurs histoires, leur rencontre, leurs influences, leur positionnement de musicien, écouter l’interview faite par Art-District.Radio, document très intéressant fait par cette webradio qui dépasse le cadre stricto sensu de l’album.
J’ai d’ailleurs ajouté en pied de cette chronique quelques liens vous permettant d’écouter quelques interviews des deux musiciens enregistrés à la sortie de l’abum, ainsi que les accès à l’album.
Que peut-on attendre d’un duo de deux musiciens de cette trempe ? Leur expérience, leur âge nous laisse entendre que leur art sera allégé de tout superflu et ne laisser sortir que l’essentiel, une musique « à l’os ». Nous attendons le beau son épuré et mélodique de Stéphane Belmondo associé au jeu riche, percussif et aventureux de Sylvain Luc.
J’ai des albums des deux, j’ai vu les deux jouer sur scène. J’ai eu l’occasion d’assister à une master-class de Syvain Luc il y a 20 ou 25 ans à Nanterre. J’aime les deux. D’un côté j’attends énormément de cet album, je me réjouis du plaisir que je vais prendre à les écouter ensemble, d’un autre côté je serais dévasté si le résultat n’était pas à la hauteur de mon attente.
La dernière scène où j’ai vu l’un des deux sur scène était le Belmondo quintet reformé qui se produisait au Sunset en février 2019. Les deux frères sur scène c’est spécial. L’un est un dandy de la ligne mélodique, l’autre un chercheur volubile. C’est Chet Baker ou Miles avec Coltrane ou Parker. Quand Stéphane Belmondo a joué son chorus, il se rassoit tranquillement sur son siège, un sourire accroché, comme si rien de spécial ne s’était passé. Quand Lionel Belmondo a fini son chorus, il est à bout de souffle tellement il a donné, fouillé, et il a besoin d’un petit temps pour remonter à la surface. L’un maitrise le son, la mélodie et le sens. L’autre descend dans ses tréfonds et ne nous cachera rien des belles et des bêtes qu’il y trouve. Un grand moment de musique. Jacky Terrasson était passé à la fin pour jouer quelques pièces avec son ami Stéphane.
Alors Régis, cet album ? Oui, je vais vous en causer. Au détour d’un post Facebook j’ai dit qu’il était « beau » et si j’écris cette chronique c’est pour répondre à mon excellent ami Cyril qui trouvait ce « beau » un peu court.
L’album 2.0 est sorti chez Naïve le 18 octobre 2019. Sur quatorze morceaux, seuls deux morceaux ne sont pas d’eux. Les autres sont des compositions de Luc ou de Belmondo. Trois sont même des improvisations (« 2.0 », « 2.1 », »2.2″).
Oui c’est album est beau. Il est aussi la quintessence, du nectar de musique. Les notes sont rondes, pleines de sens. Le jeu aux doigts de Sylvain Luc arrondit l’univers sans la dureté du médiateur. On connait son jeu percussif, il est maintenant présent avec finesse et donne du corps. Stéphane Belmondo survole avec le son très rond de son bugle, ou un peu plus incisif de sa trompette comme sur « It’s Real ». Il nous raconte les personnages qui évoluent dans le riche décor créé par Sylvain Luc.
Le duo fonctionne à merveille, les deux se complétant à la perfection. A noter que plusieurs fois sur l’album les deux reprennent des phrases de l’autre. Habitude de défi souvent utilisée par les improvisateurs voulant s’affirmer, mais ici ce n’est pas pour s’affronter ou passer devant l’autre, mais pour marquer leur respect mutuel.
La musique de cet album est aérienne, elle ne s’impose pas, elle suggère et laisse de la place à nos rêveries. Le son est épuré, et d’ailleurs je trouve la qualité du son vraiment excellente.
De temps à autres, comme dans « 2.1 », un des morceaux improvisés sauf erreur de ma part, on voit bien les reprises de motif, les mélodies sont des phrases descendantes qui se succèdent, comme des vagues. Puis Sylvain Luc prend le morceau et l’emmène ailleurs jusqu’à sa fin.
Tiens un morceau avec une basse (« Joey’s Smile »), qui descend chromatiquement, puis crée une espèce de retard en restant sur la même note, avant de repartir vers le bas tout en douceur. Les accords tissés en fond offrant au bugle un espace ouvert que ce dernier peuple des notes essentielles. Une petite dissonance discrète de fin.
Sylvain Luc joue aussi de la basse, il aime bien en jouer pour un soir. Suite à la demande de Louis Winsberg, il avait d’ailleurs pris la basse de sa formation quelques temps, mais s’est senti vite frustré de ne pas pouvoir ajouter ses propres couleurs harmoniques. Tout de même, Louis Winsberg s’est payé le luxe d’avoir Sylvain Luc comme bassiste, comme d’autres se sont payés le luxe de jouer avec Biréli Lagrene à la basse.

Le motif d' »African Waltz » me fait penser à une musique qui collerait parfaitement avec la série Oggy et les cafards, que je regardais avec mes enfants lorsqu’ils étaient petits. Une forme de glissade à connotation humoristique, un pied de nez à la normalité. Une basse aux cordes étouffées qui percute plus qu’elle ne note. Là-aussi une descente chromatique…
Et c’est là que la technique me trahit. Un download en cours, il ne lui reste pourtant que 3 minutes, bloque le streaming et la musique hoquette puis s’arrête, reprend et s’arrête de nouveau. Au secours, je veux la fibre !!!! Maintenant, de suite….
Frustration des frustrations… A peu près la même que lorsque je me régalai à écouter Coltrane dans Love supreme sous la douche, et que la batterie de mon enceinte portable a rendu l’âme, à un moment où John allait résoudre…
« The melancoly of Rita » : Sylvain Luc propose une trame harmonique et rythmique fouillée sur laquelle Stéphane Belmondo envoie des mélodies aux notes rondes assez détachées. Chaque musicien rebondit sur les phrases de l’autre. Cette musique, hors du temps, fait écran à tous nos tracas, nous attrape en douceur et nous emmène dans un territoire plein de zénitude.
Que dire de « 2.0 » ? Vous aviez oublié que cet abum contenait des morceaux improvisés. « 2.0 » vous le rapellera. Un instrument distille des notes cristallines et vibrantes, je pencherait pour un Glokenspiel, mais sans être certain et sans savoir qui en joue. Sylvain Luc égrenne une harmonie dont la logique est souvent surprise, ou nous assène des lignes percutantes. Stéphane Belmondo joue du bugle et de la trompette. La post prod a ajouté de la réverb et de l’écho. Un mélange de minimalisme, de structure, de déstructure, d’harmonie claire ou asbconse, de petites notes fermées mais aussi quelques envolées. Une longue descente, puis Sylvain Luc reprend une partie plus sauvage tempérée par le cristallin Glokenspiel qui fade out pour finir.
Puis « Evanescence », un morceau plus classique entre ciel et terre où le guitariste instaure un cadre légèrement mélancolique où le bugliste (je crois…) développe une histoire de vie au-delà d’une mélodie. Une guitare assez aérienne faisant place au rêve versus un bugle plutôt terrien conteur de vie. L’un nous envoie au ciel, le second l’humanise, le peuple…
Je citerai encore « Mort d’un pourri », reprise de Philippe Sarde pour le film du même nom où Stéphane Belmondo s’exprime joliment à l’accordéon, son premier instrument. A noter que l’accordéon fait aussi partie de la vie de Sylvain Luc qui a joué avec Richard Galiano, Lionel Suarez ou encore son frère Gérard Luc.
Je vais arrêter ici, ne souhaitant faire une liste exhaustive des quatorzes pièces. Celles sur lesquelles je n’ai pas zoomé méritent autant votre intérêt que celles cités ici. J’ai titré ce texte « 2.0 Euterpe en sa beauté ». Cette nuit, dans un demi-sommeil, j’imaginais écrire « 2.0 Les serviteurs d’Euterpe », mais à l’instant je recule car ces messieurs ne sont pas des serviteurs mais des guides, ils jettent dans nos oreilles séduites des univers de beauté. Vingt ans après les premières rêveries, le songe est toujours de mise et il est foutrement agréable.
Pour résumer et pour mon ami Cyril, je maintiens, c’est beau !
Emission Club Jazz à FIP du 21/10/2019
Interview audio par Art-district.radio
Merci.
Cela donne des idées et surtout provoque l’envie.
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Si j’ai réussi à vous donner envie d’écouter l’album, je peux considérer que ma chronique fonctionne. Merci pour ce retour.
Vous m’intriguez avec les idées que vous avez « attrapées ». Pouvez-vous m’en parler, si vous le souhaitez bien entendu ?
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