Maux & Cris

Textes, Poèmes, Livres, Rêves et autres billevesées

Entre le cours 1 et le cours 2, il s’est passé un mois. Pendant ce temps, ma tasse et son fond ont séché chez Tomoka, qui a le moyen de réunir les conditions idéales de séchage.

Le Japon a des étés plus chaud que chez nous. Son climat est aussi plus humide. Il suffit de regarder la carte pour le comprendre. La mer est au maximum à une centaine de kilomètres de n’importe quel point. Et parfois la mer est des deux côtés. Avec une température d’une vingtaine de degrés et une hygrométrie de 80% il faut trois semaines à l’urushi pour sécher suffisamment avant de pouvoir reprendre les travaux. Mais en France, il faut compter une semaine de plus. En veillant à se rapprocher des 80% d’humidité.

Le 16 février, je suis revenu à Paris pour mon cours numéro 2. J’ai retrouvé ma tasse et son fond. J’ai aussi constaté que j’avais travaillé comme un cochon, tasse et fond étant recouvert de traces de doigts enduits d’urushi. Le fond et la tasse ne pouvant s’imbriquer correctement je dois enlever à l’aide de petites limes (dignes d’une dinette…) les matières en trop empêchant une parfaite imbrication.

L’intérieur de la tasse avant
L’extérieur de la tasse avant
L’extérieur du fond avant
L’intérieur du fond avant
Petite lime
Moyenne lime
Charbon de bois

J’ai pris conscience de plusieurs choses.

Il faut travailler plus proprement et plus délicatement. L’urushi ne se pose que sur l’un des côtés. En mettre des deux côtés augmente les dimensions des pièces. Le fond a du mal à s’emboîter sur la tasse à cause de cela. Une des « soudures » écarte les deux pièces. J’aurais dû mieux vérifier l’emboîtement des deux côtés, quitte à rectifier avec la lime « de dinette » avant de poser la laque.

Il faut observer attentivement, ne pas vouloir aller trop vite, plutôt faire en sorte d’arriver au bon résultat. Je parlai lors de l’article précédent (cf. en fin d’article) de l’éloge de la lenteur. Oui, mais pas seulement. Il faut avoir une idée du process global. Je vais en donner un exemple.

En limant mes deux pièces pour mieux les emboîter, je me dis que la prochaine étape sera de fixer le fond à la tasse. Je repars avec un jeu de petites limes à la maison, et prévois de procéder aux rectifications rapidement pour ensuite laquer/coller les deux pièces de manière à ce qu’elle sèche suffisamment avant le prochain cours mi-mars.

Du coup, je remise ma tasse et demande à Tomoka de pouvoir bénéficier des objets qu’elle met à disposition de ses élèves. J’opte pour un petit récipient, qui a perdu un éclat sur son bord qu’il me faudra combler. Il y a déjà eu un travail de comblement (?). cf. la partie dorée.

L’objet confié par Tomoka.

Pendant le reste du cours, je ponce la surface concernée avec du charbon de bois. On frotte le « bout » du charbon de bois sur une pierre pour l’égaliser et enlever les parties qui pourraient blesser la partie à poncer, puis on passe délicatement le charbon sur la partie à poncer.

Je procède ensuite à un comblement avec du sabi-urushi, un mélange de Tonoko (poudre d’affutage), d’eau et de ki-urushi (la laque brute). Après, l’objet est resté chez Tomoka. Je la récupèrerai à ma prochaine venue pour continuer le travail.

Charbon de bois
Après le passage du charbon
Après le sabi

Pour ce cours, nous étions quatre. J’ai eu le plaisir de retrouver Pasquale, avec qui nous avons déjeuné d’un délicieux bol de ramen chez Yatai Ramen dans le passage Choiseul. Dans le cours de la discussion, nous nous sommes rendu compte avoir travaillé dans la même entreprise pharmaceutique, elle comme responsable d’un secteur hospitalier et moi alors comme responsable du service mettant à disposition le matériel informatique aux visiteurs médicaux (j’avais auparavant mené le développement de l’outil informatique de gestion de la visite médicale, l’un des premiers développement micro chez Servier) et faisant le support du matériel et du logiciel. Je n’aurais pas mis un billet sur la probabilité d’une telle coïncidence.

Pasquale a plusieurs objets en cours de « réparation », dont un œuf en grès sur lequel elle déposé de la poudre d’argent marufun, et qu’elle a ensuite poli avec des terres fines. C’est déjà très beau, mais elle devra encore faire quelques opérations pour être satisfaite et ainsi autoriser une nouvelle vie durable à cet objet. Je ne me permets pas d’en poser ici des photos.

Revenu à la maison, j’engage le travail. Sylvie et moi travaillons dans le même espace, la pièce qui sert d’atelier à son activité de reliure er de restaurattion de livres anciens (les personnes intéressées peuvent aller voir son site : https://www.latelierdeblanche.com/). Elle me propose des outils pour mieux travailler. Un mini scalpel, pour gratter l’urushi surnuméraire sans attaquer la céramique. Je lui demande où on peut acheter l’alcool utile, non pour se piquer la ruche, mais pour nettoyer les pièces et les traces de doigts, d’urushi… Elle me dit : j’ai ça ou ça. Je prends celui qui semble mieux.

Je lui précise que Tomoka met à notre disposition des petits « fioles » avec lesquelles on peut distribuer de l’alcool, de l’huile ou de l’eau au goutte à goutte. Pas de problème, elle me sort une pipette de son tiroir à trésors.

Je lui explique que Tomoka met aussi à notre disposition des petits carrés de singalette (bande à pansement) que l’on enduit d’alcool et qui servent à nettoyer les outils et le carreau de faïence sur lequel on travaille. Et là, magie des magies, elle me sort un rouleau de singalette récupéré dans ma maison de famille, près de Lyon. Mon père et mon oncle avaient une entreprise de bandes à pansement. Quelques rouleaux ont été sauvés.

L’usine a fermé en 1984, par manque de marché suite au développement de pansements en matières synthétiques, de manque de trésorerie, un outillage vieillissant, la suppression des aides bancaires et par la volonté politique affichée de supprimer ce que les décideurs appelaient à l’époque les « canards boiteux ». L’usine a été reprise par une entreprise plus grosse, en limitant au maximum les pertes d’emploi. Sauf mon père, que le statut de gérant ne protégeait pas.

J’utilise donc ce fruit de l’entreprise familiale, absolument impeccable plus de quarante ans après sa fabrication. À chaque utilisation, je pense à mon père, mon oncle, mes grands-parents, à l’usine dont j’entends encore le bruit fracassant des métiers à tisser. Je sens encore les odeurs de bourre de coton, je vois la poussière de fibres qui recouvre tout, et les gens qui œuvraient sur les machines.

Je trouve que cela colle parfaitement à l’esprit du Kintsugi.

Je retire tout ce qui me permettra d’assembler mes deux pièces, et prends la décision de reporter sine die l’idée de coller le fond au reste de la tasse. Comme indiqué plus haut, l’une des « soudures » a écarté les pièces du fond. Il me parait important de procéder à son comblement avant de fixer le fond. Je fini en nettoyant à l’aide d’alcool et de mini scalpel les horribles traces de doigts et d’urushi surnuméraire. Comparez les photos suivantes avec celles du début de l’article. Vous comprendrez vite.

L’intérieur de la tasse après
L’intérieur de la tasse après autre angle
L’extérieur de la tasse après
L’intérieur du fond après
L’extérieur du fond après

La partie à combler est visible sur les deux dernières photos du fond.

Je suis conscient que la décision prise ajoute du délai. Ne vous ai-je pas dit que le Kintsugi était un éloge de la patience ? Mon objet est industriel, il n’a pas de valeur au départ, si ce n’est que j’utilise le même chaque jour. Il a été cassé non par un usage normal mais par un coup de marteau, donc artificiellement. Mon objectif est de le réparer au mieux. Sans pour autant en permettre la réutilisation ou l’utiliser de matières nobles pour sa réparation. Je suis bien conscient de mon manque de pratique et de connaissance d’un art qui ne pardonne pas l’irrespect des traditions.

Pour terminer cet article, j’ai le plaisir et l’avantage de vous présenter mon assistante personnelle, très câline sauf parfois lorsque l’agacement prend le dessus. Elle a 7 ans et s’appelle Charlie. Elle vient fréquemment vérifier si je travaille bien et n’hésite pas à se coucher sur le plan de travail. Pourquoi ? Je n’en sais fichtrement rien.


Article précédent sur le Kintsugi (https://mauxetcris.com/2023/12/03/kintsugi/) et sur mon premier cours (https://mauxetcris.com/2024/01/27/kintsugi-cours-1/).

12 réflexions sur “Kintsugi – Cours #2

    1. Maux&Cris dit :

      et laborieux… 😉

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  1. gibulène dit :

    Une histoire de patience et de minutie. Les japonais n’en manquent pas ! merci de ce suivi

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  2. ID de femmes dit :

    Passionnant ! Merci, Régis de nous décrire aussi joliment ce fin et laborieux travail

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    1. Maux&Cris dit :

      Merci Renée pour ton retour. C’est passionnant ce Kintsugi.
      Belle journée et belle semaine. BIses

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  3. Photonanie dit :

    J’admire ta patience et te remercie de nous faire suivre pas à pas ce travail minutieux.
    Bon courage pour la suite.

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    1. Maux&Cris dit :

      Merci pour tes encouragements Photonanie.
      Belle journée et belle semaine.

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  4. Soizik dit :

    Travail patient et minutieux pour arriver à la perfection, c’est très japonais 😀 c’est vrai que le résultat est magnifique, vos photos sont superbes.
    Belle connivence entre l’art de la reliure et le kintsugi.
    Les chats adorent s’installer sur nos plan de travail, peut-être pour qu.on ne les oublie pas pendantnotre concentration… 😉
    Merci du partage, bel apm.

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    1. Maux&Cris dit :

      Merci d’être passée Soizik et merci pour vos remarques.
      Belle fin de journée.

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  5. Mamiso dit :

    Il en faut de la patience et des doigts de fée ! Mais quel magnifique travail.
    Bon ben moi j’aime bien Charlie LOL
    Bisou

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    1. Maux&Cris dit :

      Je n’ai pas de doigts de fée comme mes amies, mais je vais tenter de m’améliorer. Avec l’aide de Charlie cela devrait être possible.
      Merci d’être passée Mamiso.
      Bisous

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