Maux & Cris

Textes, Poèmes, Livres, Rêves et autres billevesées

…oui ?… et alors ? J’entends déjà vos remarques amusées… j’ai relu un livre, mais attention, pas n’importe quoi, un des meilleurs. J’en ai lu des caisses… des camions entiers… mais celui-là est un monument ! Je tente une chronique. Soyez indulgents, s’il vous plait…

C’est l’histoire d’un amour. Un amour fou, absolu, qui déchire les conventions. Un de ceux dont on se dit « Ça n’existe pas dans la vraie vie, heureusement que les livres sont là pour témoigner ». Elle est jeune, noble, très belle et mariée et attend le vrai amour, que son piètre et ridicule mari ne lui procurera jamais. Il est jeune, juif, bien en vu, célibataire croit tout savoir sur l’amour et fait ce qu’il veut des femmes. Ils vont pêter ce qui est conventionnel autour d’eux pour faire vivre un amour unique, insensé et puissant. Finalement, leur amour les exclura de la vie et ils se suicideront.

Oui, c’est ça. L’amour d’abord. Et puis en même temps, non.

Ce bouquin c’est la chronique d’une époque qui n’est plus. Une époque où les gens « comme il faut » pensent montrer une immense vertu, mais leurs remarques et leurs actions montrent exactement l’inverse. L’image lisse qu’ils donnent d’eux, se craquèle vite pour laisser dégouliner un festival de mesquineries, de bêtise, de lâcheté et de racisme. La société de l’entre deux guerres a bien préparé les horreurs de la seconde.

Certes, des personnages pas très jolis-jolis. Mais ce livre n’offrirait-il pas aussi de beaux personnages ?

Effectivement. Les personnages sont fouillés. Ils ont du corps, comme on dirait d’un vin qui en aurait sous le pied (de vigne, bien entendu…). Ils sont excessifs, truculents, jouisseurs. Ceux qui mentent le font à fond. Ceux qui racontent des histoires truculent et flamboient. Les vilains ne sont pas un peu moches, mais vraiment un nectar, un concentré de dégueulasserie. L’un est même un vrai con centré sur lui-même et ses petites mesquineries, qu’il élève au rang d’œuvre d’art. On ne reste pas sur sa soif et l’auteur nous abreuve à souhait. Si les moches sont très moches, les purs sont tout autant trop purs.

L’auteur nous propose des caricatures de personnages. C’est pas crédible…

Non, non. Ce sont des caricatures par le contexte, l’entre deux guerres avec la montée des fascismes, la société qui se déchire, la judéité de plus en plus montrée du doigt par les bas de plafond. La quasi déification des dictateurs. Enfin des hommes de caractère prêts à sauver le monde ! C’est ainsi que la lueur bleu de l’œil du Maréchal est pleine de bonté et le discours haineux d’Hitler n’est que l’expression de son fort caractère.

Les personnages sont totalement crédibles. Les naïfs le restent, les hésitants se balancent sur leurs jambes, les tire-au-flanc sont si vrais. Nous avons tous côtoyé ces personnages de paresseux professionnels, baratineurs et anti travaillopathes, qui n’ont de cesse de vous freiner dans votre activité et vous reprochent de trop travailler.

La très belle héroïne se tient des discours interminables, sans ponctuation, comme nos pensées poussent les précédentes, parfois sans grande logique. Des pages entière à revivre les rencontres passées et à imaginer la prochaine avec son amant. Tout doit être parfait, autant elle-même, qui se lave et se relave, choisit et parfait sa tenue vestimentaire, longuement discutée, que l’aménagement du salon où elle recevra son amant, son idéal, son Dieu ou celui de la chambre dans laquelle elle jouira sous les assauts de son étalon.

Une longue scène de restaurant mêle les conversations des différentes tables. Ce principe donne tout le sel à l’histoire où toute l’époque est décrite au travers des différents sujets évoqués, le récit passant de l’un à l’autre sans transition. Ce qui est déroutant au début devient vite amusant, alors que les sujets évoqués restent dramatiques.

Houla ! Je n’aime pas trop ces effets de styles. Je crains leur côté superficiel ou difficile à mélanger avec les parties au style plus traditionnelle.

Rassure-toi, ô exigeant lecteur ! Tout cela est si bien fait. En servant parfaitement le récit. Aurai-je omis de te dire qu’il s’agit d’un authentique chef d’œuvre (« chef d’œuvre absolu » pour joseph Kessel, « comme une culture en produit une douzaine par siècle » pour François Nourissier).

Il m’est impossible d’être satisfait d’une chronique sur un tel ouvrage. Tout ce que je peux en dire ne sera jamais qu’un balbutiement de bonne chronique. Je le savais en entreprenant cette relecture, comme en posant les premiers mots de ce présent article.

Revenons au livre. Il parle essentiellement de ce mystère qu’est l’amour. Chacun d’entre nous met ce qu’il veut sous ce vocable. Un peu comme une recette de cuisine, dont il n’y aurait pas LA recette ultime, mais seulement des interprétations. Une telle a besoin d’admirer l’autre, Ce faisant, elle le met sur un piédestal dont il ne pourra que tomber à un moment ou un autre. Un tel se soumet totalement à l’autre, et crée ainsi la prison qui l’étouffera plus tard. Certains refusent de vivre ensemble afin de conserver l’état passionnel du début, évitant le quotidien destructeur. Mais sans quotidien, peut-on vraiment parler d’amour ? L’amour comme support de la liberté de l’autre ? Thème cher à une amie chère. Sans doute une des plus belle vision, absolument généreuse. N’est-ce pas casse-gueule ?

L’amour peut-il répondre à l’idée que l’on s’en fait a priori ? J’ai tendance à penser que partir avec une idée préconçue, c’est à coup sûr préparer son naufrage.

Au bout d’un moment, après que la vie les ait isolé et qu’ils se retrouvent bugne à bugne (Expression Lyonnaise. Traduire simplement par tête à tête, mais permettez-moi de préférer mon bugne à bugne, à prononcer avec l’accent. Quel accent ?) chaque pas emprunté deux fois devient un pas de trop et chaque silence n’est que l’annonce de l’ultime. Inexorable déliquescence de l’exaltation, l’amour idéalisé ne pouvant se satisfaire de la trivialité du banal.

Ce livre ne parle que de cela. De chacun de mes paragraphes, mais aussi de tout le reste. C’est pour cela que c’est un monument. Certains d’entre vous auront compris que je parle d’Ariane et de Solal. Si vous faites une googolesque recherche sur les deux prénoms, vous tomberez, bien entendu, sur le fameux « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen, paru en 1968. Ce livre est centré sur les deux personnages, mais il parle aussi de tout. Je vous embrouille, hein ? Si vous ne l’avez pas déjà fait, lisez-le, c’est une pure merveille.

Pour terminer sur ce sujet infini qu’est l’amour, une citation de Christian Bobin, que mon amie Solène nous a récemment rappelée : « Chaque séparation nous donne une vue de plus en plus ample et éblouie de la vie. Les arrachements nous lavent. Tout se passe, dans cette vie, comme s’il nous fallait avaler l’océan. Comme si périodiquement nous étions remis à neuf par ce qui nous rappelle de ne pas nous installer, de ne pas nous habituer. »

Note du rédacteur : Je tiens à m’excuser auprès des fans d’Albert Cohen et de Belle du Seigneur. Vous avez raison, mon article n’est pas à la hauteur du livre. J’accepte à l’avance vos critiques, fussent-elles sévères, acerbes ou ironiques. Pour ma décharge, j’adore ce livre... et …je n’ai rien à ajouter, Monsieur le Président.

L’édition que j’ai dans les mains…

Lisez Belle du Seigneur si vous ne l’avez pas déjà lu. De préférence dans une belle édition. La mienne est une édition de 1992 chez Gallimard que j’ai acheté 140 Francs. Et oui, à l’époque nous payions en francs. Offrez-vous 845 pages d’une lecture unique. Sachez aussi que ce livre fait partie d’une suite…

Belle du Seigneur
Albert Cohen
Gallimard
Collection Blanche
25,90€
Aller chez votre libraire, consommer local.

32 réflexions sur “J’ai relu un livre…

  1. Mamiso dit :

    Hélas à cause d’une perte de concentration, je ne peux plus lire de romans. La façon dont tu décris ce livre le rend encore plus intéressant. Ah les mystères de l’amour …. Je souris, je me reconnais mais chuttttttt c’est secret !
    Bonne journée
    Bise

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    1. Maux&Cris dit :

      Merci pour avoir lu mon article et pour ton commentaire. Je suis bien désolé que tu ne puisses plus lire de romans. De plus celui-là est très copieux.

      Tu te reconnais dans ce que je dis de l’amour. Je ne me permettrai pas de t’en demander plus, mais c’est que je ne tape pas trop à côté su sujet alors… 😉

      Belle journée Mamiso.
      Bises,
      Régis

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  2. barbarasoleil dit :

    Ah mais je la trouve vraiment très très bien moi ta chronique!!!!
    bonne journée Régis

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    1. Maux&Cris dit :

      Merci Barbara pour ta gentillesse.
      Belle journée.
      Bises,
      Régis

      Aimé par 1 personne

  3. Quel beau livre que « Belle du Seigneur », déjà lu au moins trois fois, mais peut-être bientôt une quatrième grâce à toi, Régis.
    Je te rassure, ta chronique est très bien (elle donne envie de lire ou relire ce chef-d’œuvre), et chuis d’accord, tous ces personnages, même les plus caricaturaux, je les ai rencontrés (et reconnus) dans la vraie vie.
    Ah, la description de ces (petits) fonctionnaires de la SDN et de leurs manips pour croiser les chefs avec des dossiers dans les bras pour faire croire qu’ils travaillent, j’en ai connu, des gens comme ça.
    Et puis, bien sûr, la folle histoire d’amour entre Solal et Ariane !
    Bonne journée, Régis.

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    1. Maux&Cris dit :

      Merci pour ton gentil commentaire Jean-Louis. Heureux que tu partages ce goût immodéré pour Belle du Seigneur.

      Le comble du petit fonctionnaire, pour moi, c’est le tableau que fait le misérable pour compter tous les jours où il glandera l’année prochaine…. Il organise sa paresse alors qu’il lui est impossible d’organiser son travail.

      Albert Cohen est un champion.

      Belle journée Jean-Louis.

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    2. Ce petit fonctionnaire là, je l’ai aussi rencontré en entreprise !

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  4. Photonanie dit :

    Je ne me souviens pas l’avoir lu mais tu m’en as donné l’envie. Je prends note 🙂
    Bonne journée.

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    1. Maux&Cris dit :

      C’est un monument. Je pense que si tu l’avais lu, tu t’en souviendrais. Soit en bien, soit en mal, mais un tel bouquin ne peut pas laisser sa lectrice indifférente. Peut-être encore plus une femme qu’un homme…
      En tout cas, merci pour ton commentaire, bonne lecture et belle journée.
      Bises,
      Régis

      J’aime

  5. marie dit :

    Bonjour Régis, il est évident qu’après avoir lu ton article je vais lire ce livre que (honte à moi) je n’ai pas lu. merci bisous et bonne journée MTH

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    1. Maux&Cris dit :

      Bonjour Marie,

      Merci pour ton passage et cette décision de lire Belle du Seigneur. Tu ne devrais pas le regretter.

      Belle journée Marie.
      Bises,
      Régis

      Aimé par 1 personne

  6. Solène Vosse dit :

    J’adore ! Trop. Tu sais quoi ? Tu m’as tenu en haleine jusqu’au bout. Titre, auteur… vite, accouche, Régis ! Ah l’amour ! L’amour, l’amour, c’est quoi l’amour, d’abord ? Suis pas… enfin, j’étais pas, mais alors pas sûre du tout d’être tentée à nouveau un jour par une love Story ( pas plus avec des personnages en papier qu’en vrai), mais voilà que…. Allez, allez, si j’arrêtais un peu de rouler ma caisse. Et je m’avouais ( au moins à moi-même) que j’en veux de l’amour. Du vrai, du beau… du pur. De l »Amour avec un grand A. Vibrer. Voilà je veux vibrer. Finalement je crois que y’a que ça de vrai dans la vie. Et puis, il faut bien le dire aussi, j’ai comme qui dirait l’impression que sans toi, sans cette chronique, j’étais partie pour rater ma vie. Tu te rends compte ? Je n’ai pas lu « La belle du Seigneur ». Oui, ben crois-moi, qu’il va – et vite, rejoindre ma PAL, ce petit bijou, ce chef d’oeuvre… j’en fais même un priorité. Une urgence absolue. Ose dire après ça qu’elle est pas bien ta chronique, hein. Gros bisous et belle journée à toi, ami Régis. Et puis, merci, un tout grand MERCI. On en reparle ? A bientôt.

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    1. Maux&Cris dit :

      Bonjour ma chère Solène,

      tu ne peux pas savoir le plaisir que tu me fais. C’est une belle chronique de ma chronique que tu dresses ici.

      Se passer de l’Amour c’est un peu comme accepter de mourir, mais pas plus tard quand on sera vieux, non, maintenant et ici. Vivre, être Ivre et Libre, Vibrer, l’Amour n’est que cela…. On est dans le cœur d’Eros et Thanatos.

      Lis Belle du Seigneur et on en cause avec grand plaisir.

      Merci pour avoir regonflé mon ego, souvent si flappi que je marche facilement dessus.

      Belle journée ma chère Solène.
      Je t’embrasse dans les embruns,
      Régis

      P.S. : je vais demander des sous à Gallimard, cela fait plusieurs personnes qui ont envie de lire ce livre grâce à moi ! 😂

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    2. Solène Vosse dit :

      Chronique de ta chronique, tu m’en vois ravie, mon cher Régis. Mais ce fut fastoche, tu sais, car ta chronique aussi réussie que les pains de Sylvie, nous a mis l’eau à la bouche, de bon matin.
      Je vais lire Belle du Seigneur ( tout de suite après « La nuit des temps » de Barjavel). Comment, d’ailleurs, n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

      Re 😘 à toute

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    3. Oh oui, SOlène, lis « Belle du seigneur », ce livre ne peut que te plaire, et à mon avis tu le dévoreras d’une traite (prévois donc un peu de temps 😉.)

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    4. Maux&Cris dit :

      845 pages tout de même ! 😂

      J’aime

  7. ID de femmes dit :

    Critique impeccable et si bien enlevée. Belle du Seigneur est le plus beau livre sur l’amour, comme, du moins à mon humble avis, le film Brève Rencontre est le plus beau film sur l’amour. Il faut l’offrir. Dans une belle édition. Et le traiter comme un joyau. Merci Régis.

    Aimé par 1 personne

    1. Maux&Cris dit :

      Heureux que nous soyons sur la même longueur d’onde. Il fait partie des livres dont j’aime voir régulièrement le dos en bonne place à côté de ses quelques copains super méritants.

      Merci pour ton commentaire ma chère Renée. 850 pages uniquement sur l’amour, c’est fort. Il était fort Albert Cohen.

      Belle journée.
      Bises,
      Régis

      Aimé par 1 personne

    2. ID de femmes dit :

      Merci cher Régis. Oui il était fort! J’offrais aux jeunes cet immense roman, espérant que cette lecture les aiderait. C’est difficile d’aimer.

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    1. Maux&Cris dit :

      Merci Mister Bump.

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  8. « J’ai tendance à penser que partir avec une idée préconçue, c’est à coup sûr préparer son naufrage’ mais quelle justesse ! merci pour ce bel article, passionné. Il y a des bibliothèques entières à découvrir et parfois un livre en prend toute la mesure.

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  9. victorhugotte dit :

    Tiens, toi aussi tu as aimé ? hahaha ! Oui, quelle merveille ce livre !

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    1. Maux&Cris dit :

      Oui et la relecture a été encore meilleure que la lecture il y a 30 ans…

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  10. Frédéric dit :

    Merci pour votre recommandation de lecture. C’est toujours bienvenu.

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    1. Maux&Cris dit :

      Vous ne devriez pas être déçu…

      J’aime

  11. Ego flappi ? Redresse-moi ça de suite et tiens-toi bien droit, ta chronique mérite une ola ! Elle est divine, comme notre héroïque.
    Bonne soirée, et à très vite.

    Aimé par 1 personne

    1. Maux&Cris dit :

      Oh Merci ! C’est gentil. Mon ego, en te lisant, a dit GO, le petit doigt sur la couture du pantalon.

      Regonflé, il repart sur le chemin de la vie en enfonçant bien le talon au sol.

      Belle journée.
      Bises,
      Régis

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    2. Parfait ! J’aime mieux ça, non mais 😉
      Des bises

      Aimé par 1 personne

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