Lire l’épisode précédent : Dupin – Les confidences 3
Le gars avait la bonne soixantaine. Comme s’il était possible d’avoir une bonne soixantaine !! La soixantaine, c’est l’antichambre de la décrépitude. Bien entendu, certains réussissent, avec l’aide d’une pratique sportive régulière, d’une alimentation raisonnée et d’un mode de vie équilibré à traverser ce passage sans écueil. Mais nombre d’autres sont rattrapés par la patrouille des bobos. Je vous en épargne la possible liste. Et je ne parle pas des bourgeois bohèmes, ne mélangeons pas tout. Je parle bien de notre corps qui part en couille, petit à petit, ou pire, parfois d’un coup.
Bref, il avait l’âge de prendre sa retraite, c’est plus clair comme cela. Un gars avec une grosse tête sur un cou épais, une mâchoire large. De rares et courts cheveux tout droits sur la tête. Genre boxeur ou rugbyman. Le genre de gars à qui seule une ceinture noire de quelque chose chercherait des noises. Sauf que si tu étais ceinture noire, tu ne chercherais de noise à personne.
Avant, lorsqu’il était en activité, il naviguait dans les hautes sphères du commandement, pendant que toi, tu ramais sur le banc de nage, à tirer sur ces putains de rames que l’eau refusait de laisser entrer. Tu ramais et lui, il commandait. A lui le sextant et la carte, à toi les ampoules, les douleurs et les blessures que l’eau de mer creuse inexorablement. Ouvertement, il ne te faisait pas ressentir la hiérarchie, mais à l’intérieur de toi, tu savais qui était le patron et que si tu n’allais pas dans son sens, la planche était pour toi. La planche c’était celle sur laquelle le condamné pouvait faire sa dernière prière avant de se jeter à l’eau, ou d’être poussé s’il ne trouvait la force se sauter de lui-même.

Malgré cela, paradoxalement, nos rapports étaient cordiaux. J’ai toujours pensé très librement, mais il faut savoir maîtriser ses humeurs et les rapports humains dans un contexte de travail. Je l’avais appris dans une vie antérieure, où un patron indélicat, qui avait bouffé tout le bénéfice de l’exercice en note de frais pour ses besoins personnels et ceux de sa compagne, n’avait pas apprécié que je lui dise. Nous avions frôlé le pugilat, et cela m’avait causé un licenciement pour incompatibilité d’humeur. Après réflexion, c’était assez élégant de sa part, car me permettant de toucher les Assedic. Et prudent aussi, vu la quantité de travail que j’avais fourni pour payer les soins esthétiques de sa greluche. Une manière élégante d’acheter mon silence.
Finalement, le boxeur était parti en retraite. Et me voilà, alors que nos rapports n’avaient jamais débordé du cercle professionnel à me pointer chez lui. Une immense et superbe maison, portes et fenêtres ouvertes, dont s’échappait une sublime musique classique, peut-être bien du Schubert. Oui c’était du Schubert. Ständchen D957, la version pour piano et violoncelle par Anne Gastinel et Claire Desert. La musique était forte et aucun autre son ne fuitait de la maison. Comme si elle était vide. J’entre. Personne. Je traverse la maison, dont tout était d’un goût exquis mais sans affectation, et me retrouve de l’autre côté, toujours accompagné par cette musique légère et pourtant si riche. Une prairie bien entretenue monte doucement de la maison vers l’orée du bois qui descend de la crête.

Tout à coup, du bois surgit un chien. Un énorme chien. Quand je dis énorme, c’est en-dessous de la réalité. Il vient vers moi à une vitesse folle. C’est effrayant, je suis sensé avoir peur mais, non pas du tout. Il s’arrête net à courte distance de moi, là où je ne peux pas le toucher. Pendant tout ce temps, il n’a pas aboyé, grogné, rien. Je tends la main vers lui. Il la sent et vient se faire câliner.
Aussitôt, c’est une autre bête qui vient du même sous-bois, à fond aussi. Deux fois plus gros que le chien. Un sanglier. Il déboule si fort vers moi. J’entends ses pas et le bruit de gorge qu’il fait en respirant. Lui aussi stoppe à courte distance. Je tends la main. Il m’adopte.
Cette histoire est folle. Mais, pour une fois, le rêve ne s’achève pas avec une impression de non finitude. Le rêve est bien clos. Il me faudrait chercher pourquoi je ne vois pas d’humain dans cette maison, et pourquoi ce chien aussi gros. Et pourquoi un sanglier. Et Pourquoi aussi gros lui aussi. Et pourquoi ils sont gentils avec moi. Cela fait beaucoup de pourquoi.
On est dans le monde de l’incongruité. Rien n’est normal dans ce rêve, mais cependant, quelque chose est encore plus incongru que le reste. Non ce n’est pas le morceau de Schubert…
à suivre dans l’épisode suivant : Dupin – Le rêve (suite)

Bonne journée les ami(e)s
©️ Texte et photos Régis Vignon 2020
Bon jour,
Je suis allé chercher un très ancien livre d’onéiromancie. Et au mot : sanglier : « Ennemis irréconciliables » …
J’attends la suite … 🙂
Max-Louis
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Génial ! Cela tombe sous le sens. C’est vrai que faire ami-ami avec un sanglier n’est pas la première idée qui nous vient.
J’ignorais l’onéiromancie.
Merci pour cette contribution, que je ne manquerai pas d’utiliser.
Bonne journée Max-Louis,
Régis
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Chic, la suite des aventures de DUPIN, et tu nous laisses comme il se doit accrocher à la falaise.
Vous vous êtes donné le mot avec SOlène pour nous offrir une sérénade schubertienne matutinale ? Je me demande ce qu’il y a à l’entrée Schubert d’un dictionnaire d’onéiromancie.
Bonne journée Régis ! 🌞🎼
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Tu as vu cela, ce maniement du cliffhanger, c’est dingue !
Il faudra demander à Max-Louis. Max-Louis, si tu nous lis, existe-t-il une entrée pour Schubert dans ton vieux grimoire d’onéiromancie ?
Ce qu’a trouvé Max-Louis est incroyable. Mon rêve trouve une explication, car si je ne sais pas pourquoi ce gros chien est venu du diable vauvert, je me demandais encore plus ce que faisait ce sanglier. L’explication onéiromancienne serait satisfaisante, si ce sanglier ne s’était pas montré si amical… il me reste à gratter autour de l’os…
Quand à Schubert, en réécoutant, je me demande si ce ne seraient pas les petits motifs mélodiques, genre musique de Noël, et l’utilisation de la quarte qui sonneraient populaires ?
Bonne journée Jean-Louis
P.S. : il devrait faire un peu moins chaud aujourd’hui
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Accessoirement, je vais chercher une transcription pour guitare et m’y coller….
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Tu nous mettras le résultat dans un billet !
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Ou pas… 😂
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J’ai commencé à travailler, mais la transcription a un doigté débile. Je dois retransposer. Je ne suis pas au bout….
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Courage, Régis, tu peux le faire ! 😜
Non, sérieux, tu me donne une idée de billet, sur les plus belles sérénades à l’opéra !
(Là comme ça, en vrac, Don Giovanni, le barbier dans sa ville, Roméo et Juliette, la Damnation de Faust, …)
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Il y a quelques années je m’étais attaqué au prélude de la fameuse suite n°1 de Bach. J’avais beaucoup travaillé les doigtés, car là aussi les positions n’étaient pas ni fluides ni pratiques. J’avais fait les deux tiers. Je devrais y retourner…
Des sérénades à chanter sous le balcon de nos belles….
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Ah que j’ai aimé lire ce billet, mon cher Emplumé.On y retrouve toute ta verve, et on peut, enfin, entrevoir le retour de Dupin ( reste a savoir ce qu’il nous réserve).
Pas étonnée en tout cas, que ce pauvre Franz se rappelle à toi dans ton rêve. Sans doute pas envie de faire chou vert 😉
( La prochaine fois, ne préviens pas, sinon on s’attend au pire. Pour peu qu’on ne soit pas très fute fute après un après-midi caniculaire, tu as vu ce que ça peut donner. Non, tu balances ta blagounetteadeuxballes et puis c’est tout)
Bon je te laisse à ton intrigue avec ton sanglier qui si j’ai bien compris n’est pas de bon augure, mais qui pourtant s’est montré amical. C’est peut-être un gros faux cul. Je dis ça je dis rien. Mais tiens nous quand même au jus.
Gros bisous, à plus tard.
😘❤🌹
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Mais que vais-je donc faire avec ce cochon ? C’est une bonne question. Il va falloir que j’enchaîne. Là je suis chez le kiné, mais je vais écrire avant le repas de ce soir…
Gros bisous SOLène
🌹❤️😘
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Généralement, les rêves des autres ne sont guère passionnants mais là… j’attends avec impatience la suite !
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Il ne me reste plus qu’à l’écrire…
Merci pour ces mots ! 😉
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