Maux & Cris

Quelle est la nature du spleen d’Ulysse ? Une malédiction l’oblige à quitter son bonheur pour aller guerroyer. Il lui sera tout autant difficile de revenir ensuite. S’agirait-il de cette folie de la vie ? Tout faire pour avoir le bonheur, puis tout faire pour le détruire. Ne serait-ce pas cette impossible quête du Graal à ne jamais devoir s’arrêter ? Risquer de mourir plutôt qu’être assuré de pas vivre. Selon l’idée où vivre « bourgeoisement » (au sens que Brel donnait à ce mot, rien à voir avec la politique) serait la négation d’une vie en perpétuelle découverte, une remise en question permanente. Éviter à tout prix le « plus ça devient vieux, plus ça devient con »…

Le spleen d’Ulysse dont j’ai envie de vous parler est le nom de l’exposition de photos de Nikos Aliagas, encore installée pour quelques jours dans le superbe écrin de l’abbaye de Jumièges. En arrivant depuis l’autre côté de la Seine, avant de prendre le bac qui nous la fait traverser, notre regard est forcément attiré par cette grandeur blanche dominant le paysage. Vous ne pouvez pas la louper. 

L’exposition est dans un bâtiment situé plus haut sur le domaine, les ouvertures en sont occultées afin d’éviter le potentiel « parasitage » de l’éclairage par une lumière naturelle que tout normand sait changeante.

Plus haut, je parle d’écrin, ce n’est pas qu’une formule. Les photos partagent la scène avec des vieilles pierres. La lumière est travaillée pour mettre en beauté les deux, et cela fonctionne à merveille. Je ne sais pas qui a veillé à la « scénographie », mais si jamais c’était le fruit du hasard, donnez-moi son adresse, s’il vous plait…

À titre d’exemple, je pose deux photos prises dans la même salle. La première concerne la tête incroyable de ce pope en recueillement devant le calice et les énervés de Jumièges. Vous trouverez en pied d’article un lien pour en savoir plus sur ces fameux « énervés ». La photo suivante est un plan plus large qui, pour moi, montre bien la parfaite entente entre le monde en pierre et celui en photo. Notons au passage l’intemporalité de ces deux mondes. Les personnes photographiées par Nikos Aliagas traversent le temps et l’espace peut-être encore plus que les sculptures de l’abbaye, parties prenantes du lieu.

Les photos les plus grandes occupent un mur, les plus petites se mettent à trois ou à cinq pour le même résultat. Toutes nous racontent des histoires plutôt laborieuses, ce que leurs mains confirment. Les mains sont importantes, autant que les visages. et même si les yeux sont parfois enfouis dans de belles trognes, ils brillent de douceur et de malice sans jamais paraître fatigués. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le triptyque : visages, mains et yeux. Et le jeu d’un noir et blanc fortement contrasté.

Celles et ceux qui suivent Nikos Aliagas sur les réseaux sociaux (1 million de followers sur Insta) savent le caractère affirmé de ses photos. Peu de demi-teinte, de faux-semblant. Il n’est qu’à regarder la photo « titre » de l’exposition. Un dos nu et des bras couvert de tatouages mêlant un dragon ondulant et des petits personnages féminins, l’une étant ailée.

Avec ses photos, Nikos fait un reportage sur des gens parfois âgés, des trognes couronnées de cheveux et de barbes aussi blanches que leur peau est tannée par le soleil et la vie. Ceux qui ont bouclé tout ou partie de leur voyage d’Ulysse. Mais aussi sur des plus jeunes, qui ont la vie devant eux ou sont dans le bateau à régler finement les voiles pour naviguer au mieux dans l’océan tempétueux de la vie.

Je n’ai pas trouvé mieux que le triptyque suivant pour imager ce que je racontai au paragraphe suivant. Il regroupe de droite à gauche le début du voyage d’Ulysse, sa fin et la mer, son théâtre favori.

Pour finir, j’ai choisi le dos superbement tatoué qui fait l’affiche de l’exposition.

L’exposition est jusqu’au 7 janvier 2023. Courrez-y ! J’ai fait un choix parmi les quelques photos prises avec mon iPhone lors de cet après-midi du 29 décembre 2023 où j’ai fait la visite. Je n’avais pas pris le Pentax. Sniff ! Tant d’autres, très belles, vous attendent à l’abbaye ou dans le livre (2).

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Merci beaucoup Monsieur Nikos Aliagas. 🙏

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Anecdote : après ma visite, repassant à l’accueil, je prends sur la pile des livres celui compilant les photos afin d’en savoir plus. Une personne me dit « vous avez pris celui de démo », me le reprend des mains et revient m’en donner un autre encore sous blister. Je la remercie d’un « je me sens privilégié, personne n’a jamais regardé les photos de ce livre… »

(1) Les énervés de Jumièges : https://www.jaimemonpatrimoine.fr/fr/module/81/723/les-enerves-de-jumieges

(2) Le Spleen d’Ulysse par Nikos Aliagas aux Éditions de la Martinière (Livre des photos de l’expo avec de belles préfaces de Sandra Prédine-Ballerie – Directrice de la culture et du Patrimoine, département de la Seine Maritime – et de Blanche de Richemont – Écrivaine et philosophe) – 32€