Ce matin, je dĂ©ambule Ă grandes enjambĂ©es dans ma tĂȘte. Un dilemme insoluble me tiraille. Dâune part jâai dĂ©cidĂ© de faire des petites chroniques des bons livres que je lis, en Ă©cartant les moins bons, sous le fallacieux prĂ©texte que ne rien dire des mauvais livres serait la meilleure façon, et peut-ĂȘtre la plus cruelle, de traiter la mĂ©diocritĂ©. Ce livre m’a posĂ© souci par rapport Ă ce principe.
Octave Parango, qui parait ressembler Ă son auteur comme une goutte d’eau Ă une autre, se raconte avec une luciditĂ© sans pitiĂ©. La dĂ©marche est courageuse et difficile. Ne serait-ce pas sa maniĂšre de sâautopsychanalyser afin de sortir grandi de lâexercice ? Ce nâest pas rien dâoser afficher, jâallais Ă©crire ses turpitudes mais ce nâen sont pas, son attitude dĂ©sinvolte dâĂ©ternel Ă©tudiant bambocheur.
Nous pouvons tous nous retrouver dans ce quâil dĂ©crit. Nous avons tous et toutes eu une pĂ©riode oĂč le jour faisait mal aux yeux, plus habituĂ©s Ă lâambiance nocturne des bars et boites oĂč se tramaient discussions enfumĂ©es et infinies beuveries, quâĂ la lumiĂšre crue de la journĂ©e. Mais nous avons refermĂ© cette Ă©poque, incompatible avec lâĂ©tat de salariĂ©.
Notre auteur est Ă©tranger Ă un travail cadrĂ©. Il vit dâĂ©criture dâarticles, de livres, de scĂ©narios, ce qui lui autorise ses nocturnes expĂ©ditions. Il nous raconte comme il est difficile, une fois passĂ© la cinquantaine, de garder la tĂȘte haute Ă agir comme un Ă©tudiant alors que lâon ne lâest plus depuis longtemps. Dâautant plus que ses compagnons et compagnes de nuit sont jeunes, eux. Lâune est dâailleurs trĂšs belle et sans pitiĂ©, qui lui fait remarquer trĂšs crĂ»ment.
Il Ă©volue parmi des beautĂ©s, qui se dĂ©robent de plus en plus Ă ses avances. Il est lucide. Il a de la tendresse pour elles, pour ses compagnes et compagnons de virĂ©es. Beaucoup de tendresse pour les gens quâil cĂŽtoie mais la dent dure aussi. En particulier avec une bande dâhumoristes radiophoniques professionnels, dĂ©zingueurs de tĂȘtes de turc sacrifiĂ©es sur lâautel de leur propre cĂ©lĂ©britĂ©. Il a Ă©tĂ© au milieu dâeux et les connait bien. Il les a analysĂ©s, il est trĂšs bon pour cela.
Il a changĂ© les noms, histoire dâĂ©viter les emmerdements, mais pas assez pour nous Ă©viter de les reconnaĂźtre. Câest un peu comme le casse-boite des fĂȘtes foraines. Tout le monde gagne. Et certains prennent cher, Ă juste titre. Il cite Gramsci « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde Ă apparaĂźtre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. ». C’est d’une cruautĂ© sans nom envers les rigolos visĂ©s que d’utiliser les mots d’un pur marxiste pour les traiter de monstres sans le faire soi-mĂȘme. Surtout dans une radio placĂ©e plutĂŽt Ă gauche sur l’Ă©chiquier politique, dont l’auditeur favori serait, aux dires mĂȘme de la patronne de la radio, un professeur majoritairement de gauche.

Octave arrive Ă ĂȘtre de gauche, de droite tout en se pensant anarchiste aristocrate. On a bien compris qu’il se situait ailleurs, que son observation politique des choses Ă©tait sans parti pris, que le seul fait de raisonner « parti » Ă©tait trop rĂ©ducteur. Son analyse est lucide d’ailleurs, un comble pour un personnage autant dĂ©foncĂ©. Un cours sur les drogues est livrĂ© ici pour ceux qui, comme moi, ont arrĂȘtĂ© d’y toucher il y a longtemps. Vous pourrez rattraper votre retard.
Octave a beaucoup de tendresse pour lui-mĂȘme, comme sâil sâobservait de lâextĂ©rieur avec cette luciditĂ© Ă©voquĂ©e plus haut. Du coup, on a aussi beaucoup de tendresse pour lui. Sur le plan de lâĂ©criture, et bien, comment dire, câest Ă©crit trĂšs proprement. Cependant, ne vous attendez pas Ă un style dĂ©coiffant ou un souffle poĂ©tique hors norme. LâĂ©criture est Ă son service, pas lâinverse.
Pour rĂ©sumer, si je fais cette chronique, c’est que, sans ĂȘtre retournĂ©, j’ai bien aimĂ© le jeu entre l’auteur et son personnage, bien aimĂ© la chasse contre les rigolos obligĂ©s contre qui j’ai les mĂȘmes griefs et la mĂȘme lassitude. Je me suis retrouvĂ© par ci par lĂ dans ses errances, comme un amateur de whisky qui dĂ©guste un Linkwood pour la premiĂšre fois, certainement pas d’Ă©gal Ă Ă©gal.
Ce livre, précédé par 99 Francs et Au secours pardon, clÎt une trilogie centrée sur Octave Parango.
Est-ce que, au moins, c’est de la littĂ©rature ?
(J’entends par lĂ , est-ce que dans vingt ou cinquante ans, l’effet de mode passĂ©), les gens liront encore ses livres ?
Bonne journée Maux & Cris.
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Je ne sais pas trop ! Un sociologue enquĂȘtant sur notre Ă©poque pourra y trouver des informations intĂ©ressantes. Je ne suis pas un juge es littĂ©rature, mais si jâaurais toujours plaisir Ă relire Bukowsky, je ne suis pas certain dâĂȘtre amenĂ© Ă replonger dans ce livre de Beigbeder.
Le fond est lĂ , que lâon peut juger superficiel ou pas, mais au niveau de la forme, il nây a pas de quoi fouetter un chat, ce qui tombe bien, jâadore les chats…
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